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tent le nez à la fenêtre, je leur ferai la grimace pour leur apprendre à vivre.

On m’a éveillée pour me remettre votre lettre, et je n’ai qu’un œil d’ouvert ; encore ne l’est-il qu’à moitié. J’ai le bout des doigts gelé ; mais cette sensation ne va pas plus loin lorsqu’il s’agit de vous. Adieu, ma belle ; je ne vous réponds pas, malgré votre défense, de ne vous point voir aujourd’hui : je ne me sens pas d’humeur à m’imposer cette pénitence ; et vous, n’en serez-vous pas moins boudée pour une visite de plus ou de moins ? Voilà Francœur qui vient dîner avec moi ; je vous l’enverrai après.


SUITE DU JOURNAL.

Je n’aurois pas été instruite de l’arrivée du chevalier de Canaples, que je l’aurois devinée à la dissipation de M. d’Épinay ; depuis quinze jours je l’ai à peine vu. Il ne soupe presque jamais chez lui ; et toutes les fois que je l’ai rencontré au spectacle, c’étoit toujours sur le théâtre[1]

  1. En 1759, pour la première fois, il n’y eut plus que les acteurs qui figurassent sur la scène de la Comédie-Française ! Barbier nous donne la date exacte de cette réforme que n’ont pas connue les Corneille, les Molière et les Racine.

    « De tout temps il y a eu sur le théâtre de la Comédie, de chaque côté, quatre rangées de bancs un peu en amphithéâtre jusqu’à la hauteur des loges, renfermés dans une balustrade et grille de fer doré, pour placer les spectateurs. Dans les grandes représentations, on ajoutoit encore, le long de la balustrade, une rangée de banquettes, et, outre cela il y avoit encore plus de cinquante personnes debout et sans place au fond du théâtre, qui formoient un cercle. Le théâtre n’étoit rempli et occupé que par des hommes, pour l’ordinaire ; en sorte que le théâtre étoit très-rétréci pour l’action des acteurs. Pour entrer un acteur sur la scène, il falloit faire faire place au fond du théàtre, pour son passage. Il n’étoit pas même vraisemblable qu’un roi parlant à son confident ou te-