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C’est le dernier témoin à décharge.


La parole est donnée ensuite à l’avocat général Quesnay de Beaurepaire. Puis M. Balandreau, avocat nommé d’office déclare que Louise Michel entend se défendre elle-même.

PLAIDOIRIE DE LOUISE MICHEL

C’est un véritable procès politique qui nous est fait ; ce n’est pas nous qu’on poursuit, c’est le parti anarchiste que l’on poursuit en nous, et c’est pour cela que j’ai dû refuser les offres qui m’étaient faites par Me Balendreau et par notre ami Laguerre qui, il n’y a pas longtemps, prenait ici chaleureusement la défense de nos amis de Lyon.

M. l’avocat général a invoqué contre nous la loi de 1871 ; je ne m’occuperai pas de savoir si cette loi de 1871 n’a pas été faite par les vainqueurs contre les vaincus, contre ceux qu’ils écrasaient alors comme la meule écrase le grain ; c’était le moment où on chassait le fédéré dans les plaines, où Gallifet nous poursuivait dans les catacombes, où il y avait de chaque côté des rues de Paris des monceaux de cadavres. Il y a une chose qui vous étonne, qui vous épouvante, c’est une femme qui ose se défendre. On n’est pas habitué à voir une femme qui ose penser ; on veut selon l’expression de Proudhon, voir dans la femme une ménagère ou une courtisane !

Nous avons pris le drapeau noir parce que la manifestation devait être essentiellement pacifique, parce que c’est le drapeau noir des grèves, le drapeau de ceux qui ont faim. Pouvions-nous en prendre un autre ? Le drapeau rouge est cloué dans les cimetières et on ne doit le reprendre que quand on peut le défendre. Or, nous ne le pouvions pas ; je vous l’ai dit et je le répète, c’était une manifestation essentiellement pacifique.

Je suis allée à la manifestation, je devais y aller. Pourquoi m’a-t-on arrêtée ? J’ai parcouru l’Europe, disant que je ne reconnaissais pas de frontières, disant que l’humanité entière a droit à l’héritage de l’humanité. Et cet héritage, il n’appartiendra pas à nous, habitués à vivre dans l’esclavage, mais à ceux qui auront la liberté et qui sauront en jouir. Voilà comment nous défendons la République et quand on nous dit que nous sommes ses ennemis, nous n’avons qu’une chose à répondre, c’est que nous l’avons fondée sur trente-cinq mille de nos cadavres.