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Quelques années après, on exécuta un parricide dans un village voisin ; à l’heure où il devait mourir, la sensation d’horreur que j’éprouvais pour le supplice de l’homme se mêlait au ressouvenir du supplice de l’oie.

Un autre effet encore de cette impression d’enfant fut que, jusqu’à l’âge de huit-dix ans, l’aspect de la viande me soulevait le cœur ; il fallut pour vaincre le dégoût une grande volonté et le raisonnement de ma grand’mère, que j’aurais de trop grandes émotions dans la vie, pour me laisser aller à cette singularité.

Les histoires de supplices entendues à l’écrègne de Vroncourt, les soirs où Manette et moi nous obtenions la rare permission d’y aller, contribuèrent peut-être à garder vive l’impression de l’oie.

J’aimais à entendre ces histoires-là au bruit des rouets ; des aiguilles à tricoter coupant le ronronnement d’un petit bruit sec ; et la neige, la grande neige toute blanche tombant, étendue comme un linceul sur la terre, tantôt fouettant le visage.

Nous devions rentrer à dix heures, mais nous revenions toujours plus tard, c’était le beau moment ! Marie Verdet posait son tricot sur ses genoux ; ses yeux se dilataient sous sa coiffe,