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verait Dieu plus que la naissance des organismes qui grouillent sur la terre.

Malheureusement, la pensée sécrétée par le cerveau ne peut subsister quand ce qui la produisait n’existe plus.

Mais on peut se rendre compte que les idées dominantes de toute une vie ont leurs causes matérielles dans telle ou telle impression, ou dans les phénomènes de l’hérédité ou autres.

Il m’arrive souvent, en remontant à l’origine de certaines choses, de trouver une forte sensation que j’éprouve encore telle à travers les années.

Ainsi, la vue d’une oie décapitée qui marchait le cou sanglant et levé, raide, avec la plaie rouge où la tête manquait ; une oie blanche, avec des gouttes de sang sur les plumes, marchant comme ivre tandis qu’à terre gisait la tête, les yeux fermés, jetée dans un coin, eut pour moi des conséquences multiples.

J’étais sans doute bien petite, car Manette me tenait par la main pour traverser le vestibule comme pour faire un voyage.

Il m’eût été impossible alors de raisonner cette impression, mais je la retrouve au fond de ma pitié pour les animaux, puis au fond de mon horreur pour la peine de mort.