Page:Mémoires de Louise Michel.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne voyaient pas de larmes dans les yeux ; mais des sourires narquois devant leurs binettes d’idiots.

Au rez-de-chaussée étaient des enfants dont on n’avait pu avoir les pères, quelques-uns comme Ranvier, déjà fiers et dont on était fier.

À terre serpentaient des filets argentés, s’en allant vers des sortes de fourmilières. C’étaient des poux énormes au dos hérissé et un peu voûté, ayant une vague ressemblance avec les sangliers (des sangliers-mouches s’entend) ; il y en avait tant qu’on croyait entendre un petit bruit dans leur fourmillement.

Gardées par des soldats, les femmes ne pouvaient changer de linge facilement (celles qui en avaient) ; je pus enfin m’en procurer. Ma pauvre mère l’apportant à travers la porte à claires-voies de la cour me semblait bien triste ; ce n’était que le commencement.

Mes nuits se passaient à regarder curieusement la mise en scène de cette Morgue. J’ai toujours été prise par ces tableaux-là, si bien que j’oublie les êtres pour l’éloquence terrible des choses.

Parfois la Morgue prenait des effets de moisson coupée au crépuscule ou à l’aube. On voyait des épis vides, des maigres bottes de paille se dorer comme le froment sous le soleil ; d’autres fois il