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ou qui sont proie eux-mêmes : une nuit de ce qu’on appelle la société civilisée.

Il m’en reste des strophes lugubres, écrites en rentrant, tandis que Mme Vollier (malgré ma précaution journalière de retarder la pendule) grondait tout en s’inquiétant, la pauvre femme, comme l’eût fait ma mère, de la fatigue que j’éprouverais dans la journée, après la course que je lui racontais. Voici les strophes :


Toute l’ombre a versé ses ténébreuses urnes,
Toute la sombre nuit ses spectres taciturnes.
L’eau dort sinistre et glauque et, dans son lit profond,
Gouffre toujours ouvert dans le morne silence,
On entend tout à coup vers le mystère immense
Quelque chose tomber d’un pont,

Tandis qu’à la lueur des pâles réverbères,
Vont, errant dans la nuit, les sublimes misères,
Fantômes plus affreux que les froids trépassés ;
Des spectres embusqués sous les portes, dans l’ombre ;
Des spectres se glissant et sans nom et sans ombre
Par d’autres spectres effacés.
....................
Eh bien, oui, j’en ai vu des bandits et des filles,
Et je leur ai parlé. Croyez-vous qu’ils soient nés
Pour être ce qu’ils sont et traîner leurs guenilles
Dans le sang ou la fange, au mal prédestinés ?

Non, vous les avez faits, vous pour qui tout est proie,
Ce qu’ils sont aujourd’hui........