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lettres, je ne l’ai jamais su : l’oiseau avait disparu.

Une autre fois, ayant un grand manteau qui m’enveloppait complètement, une sorte de large chapeau de peluche qui faisait beaucoup d’ombre sur le visage et des bottines neuves (du Temple) dont, je ne sais pourquoi, les talons sonnent très fort, je retournais à pied, assez tard ; on parlait beaucoup d’attaques nocturnes dans les journaux et un bon bourgeois qui entendait sonner mes bottines et ne distinguait pas, sans doute, la forme noire qui venait de son côté, se mit à trotter avec une telle frayeur que j’eus l’idée de le suivre un peu de temps pour le bien effaroucher.

Il allait, il allait, regardant si personne ne viendrait à son secours ! La nuit était noire, les rues désertes, le bourgeois avait une peur bleue et moi je m’amusais beaucoup.

Il allongeait le pas tant qu’il pouvait, et moi je passais dans l’ombre en faisant sonner mes talons : c’était ce qui entretenait son effroi.

Je ne savais plus dans quel quartier c’était, quand je laissai partir le bourgeois en lui criant : Faut-il être bête !

Il fallait revenir et cette nuit-là je rentrai bien tard ou plutôt bien matin, ne riant plus ; car j’avais vu, la nuit, des gens qui vivent de proie