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nue des Champs-Élysées. Il était trois heures, et il pleuvait à torrents.

Mon poète, — ce ne pouvait être qu’un poète — passe, repasse, traverse la chaussée, va droit à un banc, situé juste en face de ma fenêtre ; puis ouvre son parapluie, l’écarte à l’envers, tire son crayon et le taille, les yeux braqués sur la fenêtre, derrière laquelle je me tenais en robe de chambre, spectatrice de son manège. Sans nul doute, il rêvait poésie, et s’apprêtait à m’écrire une ode brûlante. Je ne perdais pas un de ses mouvements, et le prenais en pitié. Sa main courait fébrile. Trois fois le crayon casse sous la tension de sa verve, trois fois il le retaille. Le chant est terminé et le poète trempé, grâce à son parapluie toujours ouvert, mais qui n’a pas un instant abrité sa tête. Il se lève, m’envoie un baiser langoureux, serre son poulet, et s’éloigne enfin, non sans se retourner plus de dix fois. Était-ce un songe ? Je serais par moment tentée de le croire, car je n’ai reçu de la poste aucune espèce de vers. Peut-être aussi le pauvre diable n’avait-il plus rien dans