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Acte III, Scène V.

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tir, j’ai voulu vous voir une dernière fois , Chevalier. .. vous supplier, au nom de ce que vous avez de plus cher, de ne donner aucune suile... SAI.NT-( ;i ;onGKS, avec un mouveinent. Moi, madame ! laisser impuni l’outrage le plus sanglant !

M"" I)K PRESKE.

Ne vous y trompez pas , Saint-Georges , un duel, quelle que soit son issue, ne peut rien réparer ! ., je ne vous parle pas de moi, de mon nom, compromisdans unelutte, où l’existence de deux personnes est engagée... du mallicur d’une femme, sur qui pèse la mort d’un homme, lïil-elle méritée... je ne veux vous parler que de vous... de vous seul !., ce duel, si vous êtes vainqueur, vous perd à jamais ! votre carrière, voire avenir !

SAINT-GEORGES, amèrement.

Hé , madame ! tout cela n’est-il pas perdu par la folie d’un fat ? respect, honneur, estime !., ne m’a-t-il pas tout enlevé !.. Aux yeux de ce monde qui m’entourait hier de ses acclamations, je ne suis plus rien qu’un misérable esclave , que le dernier blanc peut couvrir de son mépris !

M"’ DE PRESLE.

Ah ! ne le croyez pas...

SAINT-GEORGES , avec chaleur.

Etsavez-vous ce que je lui dois, à cethomme que vous voulez que j’épargne !., savez-vous ([u’il a détruit mes espérances de quinze années ! ., oui, dans ce moment où je vous parle, peut-être pour la dernière fois, j’aurai le courage de vous dire... ce secret de ma vie, que nul autre n’a jamais pénétré !.. Sous le soleil dévorant de Saint-Domingue, sous les chaînes qui me saisirent en naissant... eh bien, j’avais osé rêver pour moi, un autresort, un autre monde !.. car, sous ma couleur d’esclave, je sentais une ame libre , et la force de briseï- mes fers !.. Dès mes premiers pas , un enfant, un ange, m’était apparu comme une providence... qui devint le guide, l’amc de toutes mes actions !., c’était pour elle (|ue Je connaissais l’orgueil, pour elle que je cherchais à m’élcvcr au-dessus des autres ! ., pour un de ses sourires, j’aurais sacrifié ma vie avec joie... et vous savez, madame, si ce dévouement s’est jamais démenti ! M"’ DE PRESLE , émue.

Oh ! jamais !

SAINT-GEORGES.

Forcé de fuir... son souvenir ne m’a plus quitté... et pendant quinze ans, cet amour, ce cuite, le seul vrai, le seul profond que jaie jamais éprouvé , est devenu ma vie ! je voulais à force de succès, m’élever jusqu’à elle... je ne sais (juel instinct secret me disait que celte couleur, cette empreinte même de l’esclavage , serviiait. à ma fortune ! je ne m’étais pas trompé !.. IVlrangeté de ces traits... ces taleiis futiles que je n’avais acquis que pour attirer l’attention de cou auxfiuels il faut d’abord des hochets !.. Tout servit à’^m’aplanir le chemin !.. mais ce n’était pas assez pour moi’ ! il me fallait ma place parmi les hommes !., je la voulais, je l’aurais «uc !.. Et quand les honneurs, les dignités , que ACTE ni. SCÈNE V.

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je n’aurais dus qu’à moi seul , auraient lavé le tort de ma naissance, l’opprobre dont le fouet avait jadis marqué mon front !.. Quand ces hommessi tiers m’auraient tendu la nîain, comme à leur égal... Alors, j’aurais tourné mes regards ver» vous... alors, je vous aurais dit : voilà votre ouvrage... c’est à vous seule (jne je dois ce que je suis !., ce que j’ai fuit ! parlez... suis-je enlin digne de vous, ou faut- il que je fasse encore plus !

M""* DE PUESLE, avec élan.

Ah ! Camille !.. ujon cœur vous avait deviné !’ SAINT-GEORGES, avec désespoir. Et ce rêve de quinze ans, cethomme l’a détruit, brisé !., et vous voulez que je lui pxndonne ! .. non ! non... tout son sang me doit compte du bonheur qu’il m’enlève !.. M"* OE PUESLE.

Oh ! ne dites point cela ! au nom du ciel ! écoutez-moi ! N’y a-t-il pas plus de courage à mépriser l’insulte, à se vaincre soi-même !.. El que vous donnerait, mon Dieu, celte triste victoire ?

avez-vous besoin d’un succès de plus ?.. 

Et un hasard fatal ne peut-il pas trahir la meilleur cause !.. (Avec tendresse.) Camille !., hier encore , vous m’apparteniez... vous étiez mon bien... je pouvais d’un seul mot empêcher ce combat !., cl la liberté que je vous ai rendue... (Saint-Georges fait un mouvement. — Continuant.) Je ne m’en repcns pas... vous en étiez digne... vous l’aviez conquise depuis long-teuîps , par votre seul mérite !., mais eiiiiii , ce pouvoir que j’avais sur vous... Tai-je donc perdu sans retour ? .. Ne puis-je plus disposer de vous comme autrefois !.. (Plus vivement . et comme ]’.our IcmpCeiier de répondre.) Ne me répondez pas... mais rappelez-vous notre enfance , Camille... votre désir de me complaire en tout... votre soumission à mes moindres volontés !.. Oh ! alors, si je vous eusse denuuuié le sacrifice d’un ressentiment, l’oubli d’une olïense... la vie même de votre ennemi mortel... vous n’eussiez point hésité ! ...et aujourd’hui queje vonsia demande pour vous, pour moi-même... aujourd’hui que je ne commande plus... mais que je supplie, ol)liendrai-je moins... et me punirez-vous d’avoir été bonne et généreuse !..

SAINT-GEORGES frappé d’une idée. Ah ! je devine...

M""’ DE PRESLE.

Comment ?

SAINT-GEORGES.

Le baron de Tourvel... que vous deviez épouser ? ..

M"* DE PRESLE.

Eh bien ?

SAINT-GEORGES.

Vous tremblez pour lui ?

M"* DE PUESLE , avec abandon.

Pour lui !.. et si c’était pour vous !.. SAINT-GEORGES , avec transport. Pour moi ! grand Dieu !., qu’avcz-vousdit ? M°" DE PRESLK.

Ce que mes pleurs et mon eiVroi auraient dû oui, puisque votre danger ,

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vous apprendre

votre injustice m’ont arrachécet aveu... Eh bien.