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94 LITTERATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

mands francisés n'ont pris presque aucune part à la poésie lyrique « courtoise », — la langueur et le mysticisme amoureux n'étant pas leur affaire, — nous savons du moins qu'ils com- posaient des chansons satiriques et mordantes, et nous avons même un précieux et triste témoignage qui nous montre ce genre chez eux plus anciennement que partout ailleurs. Le chevalier Luc de la Barre, — près de Pont-de-l'Arche, — avait fait contre Henri I" d'Angleterre des estrabots, comme on disait, qui avaient partout excité le rire aux dépens du prince, mais qui coûtèrent cher à l'auteur. Le roi l'ayant pris, en 1124, le condamna, pour se venger de ses satires, à avoir les yeux crevés, supplice que le pauvre poète évita en se brisant la tête contre un mur '. On peut aussi attribuer aux Normands du vieux temps de gaies chansons à boire, telles que cette amusante parodie de la séquence Lcctabiiudns, où un Anglo-Normand du xii^ siècle a célébré la cervoise - ; il préludait de loin aux admi- rables vaudevircs bachiques que M. Gasté a définitivement restitués à leur auteur, l'avocat Jean le Houx, mais qui avaient certainement été précédés par plus d'un joyeux refrain accom- pagnant les beveries de vin ou de cidre. Il est permis aussi de croire que les Normands du xn' siècle, comme leurs voisins de France, aimaient ces enrôles, ces danses en rond que l'on voit encore les jeunes filles, dans plus d'une partie de la pro- vince, former, comme leurs aïeules du moyen âge, en s'accom- pagnant de chansons ', et que, si la haute société ne pratiqua guère l'art factice de la poésie lyrique courtoise, les amoureux savaient déjà exprimer leurs joies et leurs peines dans des couplets gracieux et simples comme ceux que nous ont laissés leurs descendants du W^ siècle ■^.

��1. Voy. Orderic Vital, 1. XII, c. 39.

2. Voy. Koiiiania, t. XXI, p. 260-263 [G. P., Lu chainoii à boire aiiglo- noniiamle parodiée du Lctahuinliis].

3. Sur les a(ro/£'5 et leurs continuations modernes, voy. G. Paris, Les- Ori- gines de la poésie lyrique (Paris, 1895, in-4", tirage à part du Journal des Savants) [et ci- dessous, V].

4. Voy. Chansons du XF^ siècle, publiées par G. Paris (Paris, Didot, 1875, Soc. des une. textes français). Un grand nombre de ces chansons sont ncrmandes et se retrouvent dans les manuscrits de Caen et de Baveux publiés par M. Gasté.

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