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82 LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOVEX AGE

illustres attirés à la cour d'Aliénor de Poitiers, la poésie importée du Midi, qui devait trouver des foyers nouveaux en Picardie et en Champagne, ne s'implanta pas sur votre sol. Même établis en Angleterre, les Normands ont montré peu de goût pour la poésie lyrique « courtoise » ; on n'en connaît presque pas de spécimens anglo-normands, et les copies mêmes de chansons courtoises sont extrêmement rares en Angleterre : c'est évi- , demment un genre qui ne convenait pas à leur génie '.

C'est qu'en effet l'esprit normand n'a rien de langoureux, pas plus qu'il n'a rien de chimérique, rien même de mystique ou de romanesque. Ce qui le caractérise avant tout, c'est l'ordre, la clarté, la raison aiguisée d'esprit, avec un certain réalisme et positivisme ; c'est un génie oratoire beaucoup plus que poé- tique, car quand il a excellé dans la grande poésie, c'est surtout en en faisant de l'éloquence. Aux temps anciens déjà se marquent les traits distinctifs de ce génie ; et comme en sonnne, au jugement de tous les étrangers, les traits qui le caractérisent sont aussi ceux qui, plus ou moins accentués suivant les régions, marquent le génie français dans son ensemble, on peut dire que l'ancienne littérature normande a préludé à la littérature française dans ce qui lui est le plus essen- tiel. Toute cette poésie romantique à laquelle les Normands, suivant moi, sont restés presque étrangers a disparu à mesure que la conscience nationale s'est dégagée plus nettement ; ce qui a persisté, ce qui a fait le fond de notre littérature, c'est précisément ce qui était en germe, en tendance, déjà même réalisé en partie dans la littérature qui s'est formée chez vous avant même que vous fussiez devenus véritablement Français. Voilà ce que je voudrais faire ressortir dans la brève esquisse que je vais vous soumettre, et qui formera, je l'espère, une compensation à la première partie, trop purement négative, de cette étude.

La race normande repose sur la fusion intime de bêlement Scandinave et de l'élément roman, lui-même bien composite.

��I . Sur le genre de chansons vraiment cultivé en Normandie, voy. plus loin, p. 94.

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