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74 LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

tion première des poèmes dont nous n'avons que des formes postérieures, et avant tout des chansons de geste, et je suppose qu'il a surtout pensé à la Chanson de Roland, car de dire que le Pèlerinage de Charleiiiagiie (vers 1060), œuvre essentiellement parisienne, est d'un Normand, et que les poèmes de Raoul de Cambrai, d'Oger le Danois, de Gorniond et Isenihard, et tant d'autres, ont pris naissance en Normandie, c'est ce qui n'a pu venir à la pensée d'un critique aussi informé et aussi perspicace. En ce qui concerne la Chanson de Roland, c'est ici qu'il faut rap- peler la vérité banale que je signalais tout à l'heure. La pre- mière origine de ce beau poème paraît devoir être cherchée dans la partie occidentale de la Neustrie, dans cette marche de Bretagne dont Roland était comte, et qui, peut-être, compre- nait aussi l'Avranchin ; mais si vous pouvez revendiquer parmi vos ancêtres ceux qui composèrent les premiers chants sur le vaincu de Roncevaux, vous ne pouvez les appeler des « Nor- mands ». L'inspiration de ce poème, toute française et royale, remonte à un temps antérieur à celui où l'établissement des Danois en Neustrie créa, comme nous le verrons, une petite nationalité distincte de la nationalité française et fort peu dis- posée à s'enthousiasmer pour la royauté de Laon ou de Paris. Il est vrai que les Normands adoptèrent plus tard la Chanson de Roland : ils la chantaient, chacun le sait, à la bataille de Hastings, et ils ont même introduit dans la rédaction qui nous est parvenue leur duc Richard le Vieux, devenu contemporain de Charlemagne ; mais ils ne l'ont pas créée, pas plus qu'ils n'ont créé l'épopée féodale française, qui existait avant qu'il n'y eût des Normands en France et à laquelle ils n'ont pris aucune part active.

Cela se comprend de soi, Messieurs, si nous considérons que les Danois, qui depuis tant d'annés ravageaient le pays, pillaient les villes, brûlaient les églises, massacraient les hommes, enlevaient les femmes, ne pouvaient être envisagés par les Français que comme des ennemis ÇA furore Norniannoriun li- béra nos. Domine !^ et ne pouvaient eux-mêmes entrer dans les sentiments qui avaient produit en France, en une langue qu'ils ne comprenaient pas, une poésie qui, dans quelques-unes de ses productions, comme Gorniond el Isendmrd, était précisément dirigée contre eux. Quand ils s'établirent dans la magnifique

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