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HISTOIRE DE LA LITTÎLRATURE FRANÇAISE 69

et du roman. La part de la bourgeoisie ne commence à être notable qu'au xiiie siècle ; à l'époque antérieure ce sont surtout les jongleurs qui se pré- sentent comme auteurs des chansons de geste et des chroniques en vers. Mais la part principale revient aux clercs, qui se recrutaient dans toutes les autres classes... La littérature qui provient de sources latines, qu'elle en tra- duise fidèlement le contenu ou qu'elle le rende librement, appartient presque entièrement aux clercs ; mais il n'y a aucun domaine, y compris ceux de la chanson de geste guerrière et de la poésie galante, au développement de laquelle les clercs n'aient pris une part essentielle.

Les divers dialectes se présentent d'abord, au point de vue littéraire, avec des préteiitions égales. Mais nous trouvons dans le royaume anglo-normand une langue générale qui se distingue peu de celle de Paris et de l'Ile-de-France. Comme nous n'avons pas pour le xii^ siècle de textes de l'Ile-de-France bien garantis, les textes normands doivent être considérés comme les plus anciens représentants de la langue littéraire française. La langue de la Champagne n'est pas non plus bien éloignée de la langue littéraire. Au xiiie siècle, la langue littéraire s'assimile de plus en plus les deux autres, qui, au xiv« siècle, ne montrent presque plus de traits particuliers. Les dialectes plus fortement caractérisés, le lorrain, le wallon et le picard, littérairement si riche, se maintiennent plus longtemps... Les provinces méridionales, du Poitou à la Sa- voie, se servent presque uniquement de la langue commune pour la littéra- ture dès le xiye siècle.. . Au xv^ siècle les Provençaux qui veulent s'adresser à un cercle un peu étendu se servent aussi du français : la langue locale est réservée à des oeuvres destinées au milieu local. Depuis lors les dialectes dis- paraissent de la littérature proprement dite et deviennent de simples « patois ».

Le moyen âge léguait donc à l'époque moderne une langue nationale ; en dehors de cela il ne lui apportait rien qui eût une grande valeur. Au tour- nant du xyc et du xvie siècle, la littérature française qui s'était survécu à elle-même, tournait dans des ornières depuis longtemps usées. Il faut en dire autant de la conception générale du monde qui avait été celle du moyen âge. Le principe en avait été de regarder, dans tous les domaines, ce qui était tra- ditionnellement établi comme quelque chose d'absolument solide et indes- tructible, et sur ce principe on avait élevé de vastes systèmes, mais on n'avait à peu près sur aucun point étendu l'horizon intellectuel. Une autre pensée, plus féconde, devait donc se faire jour : la pensée qu'il ne peut être donné à l'humanité de se reposer confortablement dans la possession assurée de la pleine vérité, que sa destinée, plus modeste, mais plus belle, est de combattre éternellement pour cette possession, dans une recherche, dans une curiosité, dans un effort perpétuels, d'aller toujours en avant sur une route dont le terme se dérobe aux veux. Cette pensée a si profondément bouleversé la vie intellectuelle, que les flots en sont encore aujourd'hui tout agités ; dans les divisions scientifiques, religieuses, politiques du présent, c'est encore elle qui marque entre les hommes la coupure la plus profonde et la plus nette.

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