Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

40 LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

appartinrent, jusqu'en 1204, aux rois d'Angleterre n'empêche pas que, littérairement parlant, ces provinces n'aient été en communication constante avec les provinces royales (même si, en matière politique, l'esprit de leurs écrivains a été parfois hostile à la France). Cette division tient à une idée générale que M. Suchier a développée ailleurs, et qui elle-même se rattache à la façon dont il considère la formation de la plus ancienne langue littéraire de la France du Nord. Il attribue aux rois d'Angleterre sur le développement de notre langue et de notre littérature une influence plus grande que celle qu'ils ont exer- cée : les romans « antiques », qui ont une importance si consi- dérable dans l'évolution littéraire du xii^ siècle, n'ont subi cette influence à aucun degré ', et il en est de même de la poésie Ivrique ; que les sources celtiques des lais et des poèmes « bre- tons » aient été armoricaines ou galloises, que les poèmes fran- çais, dans ce domaine, aient été ou non précédés par des poèmes anglo-normands, les romans de Chrétien de Troies nous présentent une forme toute française de langue et de pen- sée. La littérature anglo-normande se serait peut-être dévelop- pée avec originalité au xii'^ siècle, comme elle avait commencé à le faire, si la famille de Guillaume avait continué à régner; mais les Plantegenêts étaient des Français ^ ; la littérature qu'ils ont favorisée s'était formée en France, et continue de s'y déve- lopper conformément à ses tendances propres. Il n'y a pas lieu de séparer la littérature française du continent en deux littéra- tures^ dont l'une appartiendrait aux domaines du roi de France, l'autre à ceux du roi d'Andeterre. Si M. Suchier avait renoncé à cette séparation, son histoire de la période la plus florissante de notre vieille littérature aurait gagné en unité et en clarté.

��1. Le roman de Troie, dédié par Benoit de Sainte-More à Aliéner, femme de Henri II, ne fait pas exception. Ce vaste poème a dû être au moins très avancé antérieurement à l'avènement de Henri au trône d'Angleterre ; il se rattache directement aux poèmes de Thèbes et à'Enéas.

2. Dans son portrait, d'ailleurs très bien tracé, de Henri II, M. Suchier dit (p. 121) qu'il « pouvait parfois montrer la froide cruauté du Normand ». Mais Henri avait bien peu de sang normand dans les veines : sa mère, il est vrai, était la fille de Henri ler (et d'une princesse d'Ecosse), mais son père et tous ses ascendants paternels étaient de race purement française.

�� �