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noms des trois personnages, Alis, Fénice, Cligès, se trouvaient-ils déjà dans cette source? C’est ce qu’il est difficile de décider : pour le nom de Cligès ’, la question est mêlée à une autre, plus intéressante, qui touche au fond même du récit.

Le conte de Beauvais, comme toutes les variantes que nous connaissons, présentait certainement sous un jour odieux la femme qui feint d’être morte pour se faire enlever par son amant : c’est Chrétien qui, — voulant écrire un nouveau Tristan, favorable, comme l'ancien, aux amants contre le mari, — s’est avisé de transformer l’esprit du conte en portant la sympathie sur la femme. Mais l’amant, dans la source du poète français, était-il déjà le neveu du mari ? ou Chrétien a-t-il introduit cette parenté pour mieux rapprocher Cligès de Tristan ? La solution de cette question dépend de la façon dont on concevra le rapport du poème de Chrétien avec le récit qu’on trouve dans le roman de Marques de Rome. Ce roman, imité du fameux roman des Sept Sages, met en scène une impératrice qui,

��avoir dit qu’il y a deux possibilités pour le rapport de Chrétien avec sa source, la première qu’il y ait déjà trouvé « le costume byzantin », la seconde qu’il l’ait introduit de son chef, et que la seconde ne peut être admise que si l’on a pour cela une raison particulière, il ajoute : « Or c’est bien le cas. » Et il cite le récit-de Marques de Rome, qu’il regarde comme un dérivé parallèle de la source de Chrétien. Mais ce récit, précisément, met la scène à Constantinople et fait du mari un empereur grec : le « costume byzantin » était donc dans la source commune.

I. Les noms de Fénice et de Thessala paraissent inventés par Chrétien (voir ci-dessus, p. 286-7) î celui à’ Alis, qu’on a rapproché d’Alexis, rappelle le Laïs d’Eracle. Le nom de la mère de Cligès et d’Alis, Tantalis, est pris à Ovide (il désigne en réalité toute descendante de Tantale) ; le nom de Jehan peut être grec, mais celui de Bertian, comme je l’ai déjà remarqué, est bien singulièrement donné à un écuver de Thrace. Les noms des douze compagnons d’Alexandre, Acorionde, Calcedor, Coniix, Feroliii, Fraiicacrel , Licoridcs, Nahitnal, Neriolis, Neriiis, Parmenides, Pinabel, Torin, sont étranges. La plupart n’ont pas une tournure grecque. Ils proviennent ou de l’invention pure ou de réminiscences (Parmenidès, Pinabel) du poète. En tout cas, comme ils sont propres à la première partie du poème et n’étaient certainement pas dans la source de Chrétien, ils ne peuvent rien prouver pour ni contre l’origine byzantine du roman.