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CLIGÈS 305

va sans cesse à la tour, sous le prétexte d'un autour qu'il y a mis en mue ', et passe son temps avec celle qu'il aime et qui n'a avec lui qu'un vouloir. Ils restent ainsi quinze mois; mais, le printemps revenant, Fénice entend chanter le rossignol et exprime son désir de revoir le soleil. Jean ouvre une porte secrète qui donne sur le verger : ce verger est clos « d'un haut mur qui tient à la tour, si bien qu'on ne peut y entrer sans monter par-dessus la tour » (v. 6421-6424), en sorte que les amants peuvent s'y ébattre sans nul danger. On se demande pourquoi, dans ces conditions, Cligès et Jean ont attendu quinze mois pour faire prendre l'air à Fénice \ Et à quoi bon même l'avoir enfermée dans un souterrain si mystérieusement caché, puisqu'elle est aussi en sécurité dans le verger? Mais nous ver- rons plus fort tout à l'heure.

Au milieu de la pelouse s'élève un arbre (un poirier, comme on le voit plus tard), dont les branches artistement ployées retombent vers la terre et forment un vaste berceau. On y fait porter un lit, et c'est là que les amants passent leurs plus douces heures dans un complet abandon. Or," un jour, un jeune che- valier de Thrace, appelé Bertran ', voit l'épervier avec lequel il chassait s'essorer dans le verger sous la tour ; il veut le reprendre et escalade, sans grande peine, semble-t-il (de même qu'il le fera au retour), le mur du verger. Ici l'incohérence est vrai- ment par trop choquante : comment ce mur infranchissable devient-il tout à coup si facile à franchir? On ne peut mettre plus de négligence et d'étourderie dans la composition d'un récit 4. — Les amants dorment, nus, sur le lit placé sous l'arbre. Bertran les voit et les reconnaît, bien qu'il ait peine à en croire ses yeux. A ce moment, une poire tombe de l'arbre et réveille Fénice, qui voit Bertran. Elle éveille Cligès en lui criant : « Tuez- le^ ou nous sommes perdus ! » Cligès, qui avait près de lui son

��1. Les oiseaux de chasse, pendant la période de la mue, exigent des soins très assidus.

2. M. Fôrster (note sur le v. 6378) fait la même remarque.

3. C'est un nom singulier pour un Grec.

4. Encore ici M. Fôrster (note sur le v. 6421) n'a pu s'empêcher de rele- ver la contradiction qu'offre le récit de Chrétien.

G. Paris. — Moyeu âge. 20

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