Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/305

Cette page n’a pas encore été corrigée

CLIGÈS 301

au plus tard à none (trois heures de l'après-midi)'. Un peu avant cette heure, Thessala donne à boire à Fénice la poison préparée : aussitôt celle-ci perd la vue, le mouvement et la sensibilité ; mais elle conserve la conscience et l'ouïe, et entend autour d'elle les lamentations de l'empereur et des autres. La nouvelle de sa mort se répand par la ville, et de toutes parts ce ne sont que pleurs et invectives contre la Mort \

A ce moment arrivaient à Constantinople trois médecins qui avaient longtemps séjourné à Salerne K Ils s'enquièrent du sujet de la désolation générale et regrettent d'être arrivés trop tard : leur art aurait sauvé l'impératrice. Mais quand on leur répond qu'elle a refusé de voir aucun médecin, « il leur souvient de Salomon, que sa femme trahit en feignant d'être morte » •♦, et ils soupçonnent Fénice d'en faire autant. Ils se rendent au palais, où elle est exposée dans sa bière >' ; le maistre des trois, en lui mettant sa main sur la poitrine, sent tout de suite (évidemment au battement du cœur) qu'elle est vivante (il est bien surpre- nant que les médecins de la cour n'eussent pas fait déjà cette constatation). « Cette dame, dit-il à l'empereur, n'est pas morte, et je consens à être pendu si je ne vous la rends pas pleine de vie. Laissez-nous seulement seuls avec elle. » C'est ce qui se

��1 . Elle trouve dans la ville une femme gravement malade, la visite assi- dûment, et, le jour où elle la voit moribonde, recueille son urine, qu'elle donne aux médecins comme étant celle de Fénice. Le poète aurait bien fait d'appliquer à d'autres circonstances le souci de vraisemblance qu'il montre ici.

2. Ces reproches à la Mort, accusée d'enlever au monde ce qu'il y a de meilleur et d'y laisser ce qui ne vaut rien, sont un des lieux communs les plus habituels, — et les moins heureux, — de la poésie du moyen âge. Il y aurait un certain intérêt à en chercher l'origine et à en faire l'histoire.

3. Chrétien s'imaginait évidemment que l'école de Salerne était aussi réputée en Grèce qu'en Occident.

4. Je reviendrai sur cette allusion, si curieusement placée ici, à une his- toire qui est la plus célèbre des variantes du thème mis en œuvre dans Cli- gès [cf. ci-dessous, p. 313-24].

5. Le poète ne s'explique pas clairement sur cette bicit', qui paraît bien être un cercueil, mais dont le haut n'est pas fermé ; Fénice y est étendue dans un linceul, mais à visage découvert (v. 6071).

�� �