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C LIGES 299

VOUS y êtes resté, et il en est parti avec vous. — Et je ne l'ai pas su ! Certes, dame, je lui aurais porté bonne compagnie, — Et si votre cœur était venu le rejoindre, il aurait été bien accueilli. — Il y est allé. — Comme le mien au vôtre. — Eh bien ! ils sont tous deux ici, et le mien vous appartient entière- ment. — Ami, le mien est aussi à vous, et nous voilà pleine- ment d'accord. » Là-dessus elle lui raconte comment elle n'a de « dame » que le nom. <( Mon corps^ ajoute- t-elle, ne sera jamais qu'à vous, qui avez mon cœur ; mais il ne sera à vous que si vous trouvez un moyen de m'enlever à votre oncle ' de façon qu'il ne me trouve jamais et ne puisse en donner de blâme ni à vous, ni à moi. Pensez-y cette nuit et dites-moi demain ce que vous aurez trouvé ; j'y penserai de mon côté et nous verrons quel plan sera le meilleur à exé- cuter. »

Le lendemain Cligès lui dit : « Ce que je trouve de mieux, c'est de nous en aller en Bretagne, où on nous recevra avec plus de joie qu'on ne reçut Elaine à Troie. — Je ne m'en irai pas ainsi avec vous, répond Fénice, car on parlerait de nous comme d'Iseut et de Tristan : on ne croirait jamais que je n'aie pas appartenu à votre oncle. J'ai trouvé un meilleur moyen ; je me ferai morte, et commencerai par feindre une maladie. Préparez- moi un cercueil où je puisse respirer, et pourvoyez-vous d'un asile où, quand vous m'aurez, la nuit, retirée du tombeau, je puisse vivre sans que personne, excepté vous, en ait le soupçon. Vous serez mon maître et mon serviteur ; je ne verrai au monde que vous, et, dans le plus pauvre gîte, je me trouverai mieux que dans ce palais ^. Personne ne pourra dire du mal de moi, puisqu'on me croira en terre. Pour l'exécution je m'en remets à Thessala, qui est très sage et en qui j'ai toute confiance. »

Cligès accepte ce projet hardi et promet de s'occuper de ce qu'elle lui a demandé : il compte pour cela sur son serf Jean.

��1. <c 5<? apenser ne vos savc:^ Cornent je puisse estre eiiblee De rostre oncle et desassevihlee (et non de s' assemblée). »

2. On a vu plus haut (p. 292, n. 2) que Fénice n'écarte cependant pas l'idée que, Alis venant à mourir, elle pourrait épouser Cligès et régner avec lui.

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