Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/289

Cette page n’a pas encore été corrigée

C LIGES 285

faisant du mariage d'Alis un acte de déloyauté envers Cligès ; mais alors il aurait dû nous montrer Cligès protestant dès l'abord contre ce mariage. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il avait besoin que pût s'établir entre Cligès et la femme de son oncle, avec l'adhésion de celui-ci, l'intimité nécessaire au développe- ment de leur amour; mais ce consentement facile de Cligès au mariage et les bonnes relations où il continue d'être avec Alis laissent à sa conduite ce caractère peu loyal que le poète avait précisément voulu éviter. L'histoire du naufrage, le pacte si facilement accepté par Alexandre, la mort soudaine et simul- tanée d'Alexandre et de Soredamours, l'insistance des barons d'Alis pour qu'il se marie, sont de bien pauvres inventions. Chrétien ne s'est même pas aperçu de l'absurdité chronologique où il tombait. D'après le début ' Alis était à peine né quand Alexandre était parti pour l'Angleterre ; comme Cligès vient au monde environ dix-huit mois après-, il n'a que deux ans envi- ron de moins que son oncle, et quand Alis se marie, Cligès ayant quinze ans, il en a lui-même environ dix-sept. La mort du père d'Alexandre et d'Alis étant survenue quand Cligès était encore enfant, il en résulte qu'Alis lui-même n'est qu'un enfant en bas âge quand il est couronné empereur et traite avec son frère. On ne voit pas pourquoi le poète a mis entre Alexandre et Alis cette grande différence d'âge, qu'il a ensuite si complète- tement oubliée'.

��1 . Voir les vers 51-56.

2. L'arrivée d'Alexandre à la cour d'Arthur, le voyage en Petite Bretagne, le retour en Angleterre, la guerre contre Engrès et le mariage ne peuvent guère prendre plus de trois mois ; Cligès naît au plus tard quatorze mois après (2573-83).

3. M. Grôber (Gniiulriss, t. 11, p. 499) croit que « le pont jeté entre les deux parties du roman est une intrigue d'avènement au trône comme il n'en manque pas dans l'histoire orientale, et que Chrétien peut avoir lue dans un livre latin de l'église Saint-Pierre de Beauvais, qu'il invoque comme base de son poème ». Ce serait là tout ce que le poète devrait à ce livre. C'est assuré- ment une supposition bien peu vraisemblable : quel intérêt aurait eu, réduite à elle-même, l'histoire du pacte d'Alexandre avec Alis ? Encore faudrait-il trouver quelque chose d'analogue dans « l'histoire orientale ».

�� �