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que son nom a été célèbre, si célèbre même qu'on en a abusé. Si Hartmann d'Aue lui a pris Érec et Yvain sans dire à qui il les prenait, Wolfram d'Eschenbach non seulement le cite, — pour le critiquer il est vrai, — dans son Par:^ival en grande partie traduit du Perceval français,, mais il lui attribue, bien à tort, la chanson de geste ôiAliscans qu'il a librement imitée ; et Henri du Tûrlin, dans la compilation poétique qu'il a appelée la Couronne, met sur le compte de Chrétien plus d'un récit dont celui-ci n'est pas responsable. Ces erreurs, volontaires ou non, montrent assez la renommée qui entourait le nom du poète champenois peu de temps après sa mort.

Cette renommée était méritée par des qualités très réelles. Chrétien de Troies avait su trouver, surtout dans la « matière de Bretagne », le sujet de récits intéressants pour ses contem- porains, et dont quelques-uns peuvent encore intéresser ' ; il les avait traités d'une façon libre et personnelle, revêtant les vieux thèmes mythiques ou épiques, — dont il se souciait peu de comprendre le sens primitif et qu'il avait souvent recueillis dans une forme très altérée, — du costume « courtois « à la mode au xii" siècle en France d'abord, puis bientôt dans toute l'Europe. Il avait ajouté à ces thèmes non seulement des développements, mais des épisodes, souvent considérables, de son cru, où, s'il nous semble aujourd'hui n'avoir montré qu'une invention assez pauvre, il avait pu encore plus librement représenter les idées et les sentiments du pubUc auquel il s'adressait ^ On ne peut dire que ses romans soient composés avec un art véritable, car il n'y en a pas un où l'on ne puisse relever, en nombre plus ou moins

��1 . Tels sont dans Erec le thème (quoiqu'il reste assez obscur) du malen- tendu entre les époux, et plusieurs des épisodes de leur voyage, — dans Cligès celui de la femme qui feint d'être morte pour se faire enlever, — dans Lancelot le passage du fleuve de feu sur le pont de l'épée, — dans Yvain la fontaine magique avec ses merveilles, etc.

2. Ainsi dans Cligès l'histoire d'Alexandre (voir plus loin); dans Lancelot tout ce qui concerne les amours de la reine et de Lancelot, ainsi que l'épi- sode du tournoi; dans Yvain le combat contre Gauvain, etc., la délivrance de Lunete ; dans Perceval presque tout ce qui concerne Gauvain, etc., ne doivent rien sans doute aux sources de Chrétien.

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