Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épiques ou simplement narratifs, puis pour une poésie lyrique populaire et « courtoise », pour des œuvres satiriques, morales, philosophiques, pour des compositions théâtrales, enfin pour des récits historiques ou des fictions en prose. Il faudrait un espace que je n’ai plus ici pour faire comprendre tout ce qu’une pareille création a eu de hardi et presque d’héroïque. Elle est dans un rapport étroit avec la constitution même de la société où elle s’est produite, et elle a eu pour résultat de rendre pendant des siècles toute l’Europe civilisée tributaire de la France. Par là encore la littérature française du moyen âge ressemble à la littérature française moderne, issue, elle aussi, d’un effort courageux et difficile pour accommoder une matière presque intacte à une forme nouvelle, intimement dépendante, elle aussi, des conditions sociales où elle se produit, et exerçant, elle aussi, une influence souveraine sur les littératures voisines.

C’est ainsi que nos deux grandes périodes littéraires, celle du moyen âge et celle des temps modernes, se ressemblent par leur histoire extérieure autant que par beaucoup de leurs caractères intimes et, quelque séparation qu’ait mise entre elles la rupture de la tradition immédiate, ne doivent pas être séparées par ceux qui veulent surtout étudier dans une littérature la manifestation d’un génie national. Et c’est pour cela que le directeur et les collaborateurs de l’œuvre à laquelle ces pages servent de préface ont eu en l’entreprenant une conception digne de tout éloge et auront bien mérité non seulement de la science, mais de la patrie. Car le sentiment national a besoin aujourd’hui, comme tous les autres, de se renouveler et de s’élargir en s’appuyant sur la recherche scientifique, et la meilleure manière qu’il y ait de lui donner une conscience de lui-même de plus en plus pleine et féconde, c’est de lui montrer sa pérennité à travers les âges et sa persistance essentielle tdans toutes les phases de son développement.

[Préface aux tomes I et II de l’Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900 publiée sous la direction de L. Petit de Julleville, I, a-v, 1896[1].]

  1. [Réimprimée avec l’autorisation de MM. Armand Colin et Cie, éditeurs.]