Page:Mélanges de littérature française du moyen âge.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connus, de leur rendre justice, comme elle empêche encore de le faire beaucoup de critiques contemporains, et, naturellement, de ceux qui sont le plus fidèles à la tradition classique.

Mais si le sentiment réfléchi de la beauté du style manque presque toujours à nos pères, on retrouve jusque dans la forme de leurs écrits plus d’un des traits qui caractérisent encore notre littérature en face de celle des autres peuples. Et d’abord ils sont clairs, ou du moins ils ont toujours l’intention de l’être : si leur syntaxe, développée en liberté et soumise à toutes les incertitudes du langage parlé, ne connaît pas les règles sévères que les grammairiens ont imposées à la nôtre et qui ont fait peu à peu du français littéraire une langue transparente et lucide entre toutes, ils arrivent cependant d’ordinaire à construire des phrases qui sont intelligibles sans effort, et ils ne recherchent pas l’obscurité, comme on le faisait au moyen âge dans plus d’une littérature voisine. Il en devait être ainsi : une littérature sociale doit avant tout être facile à comprendre. Mais leur langue n’est pas seulement claire : elle a souvent une justesse, une légèreté, une aisance naturelle qui font penser aux meilleurs morceaux de notre littérature des deux derniers siècles. Ils voient bien et savent dire avec netteté ce qu’ils ont vu ; leur parole les amuse et nous amuse avec eux. Beaucoup d’entre eux sont d’aimables causeurs, un peu babillards, qui se laissent d’autant plus volontiers aller à leur verve qu’ils voient que leurs auditeurs y prennent plaisir ; d’autres sont d’excellents raisonneurs, qui cherchent sérieusement à convaincre ou à intéresser leur public, et qui y réussissent par la simplicité et la précision de leur exposition ; d’autres encore ont su imprimer à leurs discours de la grandeur, de la sensibilité ou de la finesse. Parmi leurs productions, il en est qui, indépendamment de leur intérêt historique, peuvent encore charmer le lecteur qui n’y cherche qu’une jouissance esthétique : tels le Roland avec sa sévérité passionnée, Aucassin avec sa fraîcheur et sa sveltesse juvéniles, quelques passages de Chrétien de Troyes avec leur délicatesse spirituelle, quelques morceaux des grands romans en prose avec leur élégance étudiée, la Vie de saint Thomas avec sa fermeté parfois éclatante, le Jeu de la Feuillée avec sa verve écolière, Robin avec sa gentillesse rustique, Renard et quelques fableaux avec leur gaieté inoffensive, le livre