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RAOUL DE CAMBRAI l6$

Je veux dire un mot, en terminant, de la seconde partie du poème dans notre manuscrit, la partie en assonances. Elle est, dans son ensemble, visiblement postérieure, et d'un ton tout romanesque qui contraste avec l'allure épique du premier chant ; mais la fin a un caractère de si grande et haute poésie que je ne puis me résoudre à l'attribuer au jongleur du xir' siècle qui a composé d'autres épisodes. Il faut que, pour ce dénoue- ment, il ait eu une source plus ancienne, et je reconnaîtrais volontiers là la main du poète à qui nous devons, pour le fond, la fin de la partie rimée. Qu'on en juge. Les barons de Ver- mandois et de Cambraisis se sont réconciliés (déjà dans la première partie) ; Dernier a même épousé la fille de Guerri le Sor, l'oncle de Raoul. Un jour Dernier veut aller en pèlerinage à Saint- Jacques ; son beau-père l'accompagne ; leur entente est parfaite. En revenant, ils passent par les prés d'Origni. Dernier soupire. « Qu'avez-vous ? lui dit Guerri. — Ne me le demandez pas ; j'ai le cœur ainsi disposé en ce moment. — Je veux le savoir. — Eh bien 1 puisque vous le voulez, je vous le dirai malgré moi. Je songe à Raoul : voici le lieu même où je le tuai. — Vassal, dit Guerri, vous n'êtes pas courtois de me rappeler la mort de mes amis! » Toutefois il ne fait semblant de rien, mais il a le cœur oppressé. Les deux barons arrivent près d'un cours d'eau ; pendant que les chevaux boivent, le vieux Guerri détache doucement un de ses lourds étriers, et en frappe Dernier si violemment sur la tète que le crâne s'ouvre et la cervelle sort ; après quoi il prend la fuite. Les écuyers. ramènent le corps à Déatrix, femme de Dernier, qui voit se réaliser les sombres pressentiments qu'elle avait conçus quand son mari était parti avec son père, dont elle connaissait l'âme félonne et vindicative. Mais Dernier a deux fils déjà en âge de porter les armes ; ils vont à Arras assiéger leur terrible grand-père. Gautier, tout en blâmant Guerri, vient à son secours; il est tué. Quand Guerri voit qu'il ne pourra pas se défendre longtemps, il attend la nuit, monte sur son cheval, et, sans rien dire à personne, sort de la ville. « On ne sait ce qu'il devint ; j'ai entendu dire

��les articles de M. Longnon dans Romania, XXXVII (1908), 193 et 491, XXXVIII (1909), 219 ; cf. aussi XXXVIII, 472.]

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