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nément, aux ix et x" siècles, dans l'immense et tumultueux chaos où s'est constitué le vrai moyen âge. Elle n'a pas été faite pour charmer des auditeurs indifférents ; elle est l'écho immédiat des sentiments, des passions, des triomphes, des deuils de ceux qui la font et qui l'entendent. Elle ne demande ses sujets ni à la tradition, ni à l'invention , elle n'en a pas d'autres que les faits contemporains, qui s'y reflètent sous le jour où les voient les acteurs eux-mêmes; elle est, avec cette restriction, absolu- ment sincère, et aurait, si nous la possédions dans sa forme originale, la valeur d'un document historique de premier ordre. Malheureusement elle fut de bonne heure exploitée par les jon- gleurs, qui, pour conserver en bon état de service les chansons qu'ils colportaient et qui étaient leur gagne-pain, les altéraient de mille façons et les renouvelaient plusieurs fois dans le cours des âges. Leurs dernières remises à neuf sont d'ordinaire les seules qui nous soient parvenues, et il nous est le plus souvent impossible, étant donnée l'obscurité profonde qui règne sur l'histoire des siècles où cette épopée a pris les premiers thèmes qu'ils ont développés, de rattacher avec certitude ces dévelop- pements à leur point de départ. Nous le pouvons ici, grâce à ces deux heureuses circonstances de la conservation des vers relatifs à Bertolai et de l'idée qu'a eue Flodoard d'insérer dans ses Annales cette inappréciable notice : « En l'année 943 mourut le comte Herbert. Ses fils l'ensevelirent à Saint-Quentin ', et, apprenant que Raoul, fils de Raoul de Goui, venait pour envahir la terre de leur père, ils l'attaquèrent et le tuèrent, ce qui affli- gea fort le roi Louis. » C'est à Flodoard que nous devons de savoir que la chanson de Raoul, si profondément épique, est en même temps, dans son noyau primitif, profondément historique; elle nous apprend elle-même, par la mention de Bertolai, qu'elle est contemporaine des événements qu'elle célèbre [^].
��1 . D'après le résume du moine de Waulsort l'ancienne chanson commen- çait par le tableau des funérailles magnifiques du comte Herbert, troublées par l'invasion de Raoul, et les expressions de Flodoard permettent de croire que ce récit répondait à la réalité. C'était là un début grandiose ; il est fâcheux qu'il ait disparu du poème.
2. [Sur toute cette question, cf. Bédicr, Les %('«(/« cpiqites, 11 (1908), et
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