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RAOUL DE CAMBRAI léj

le poète est avec eux. Mais ce même Raoul, qui ne reconnaît pas au roi le droit de donner le Cambraisis à Gibouin, se fait investir par lui du Vermandois, bien que le comte Herbert, en mourant, ait laissé quatre fils. Il se met par là dans son tort aux yeux du poète et de toute la société féodale ; sa mère le maudit, et il est châtié de son injuste entreprise. La chanson de Bertolai devait s'étendre sur ces questions alors brûlantes; elle devait blâmer plus nettement que le poème actuel la con- duite du roi, et rattacher cette conduite, ce que le poème ne fait plus, à la haine de Louis IV contre Herbert de Vermandois, ce terrible vassal dans la prison duquel Charles, père de Louis, était mort \ Quoi qu'il en soit, il faut qu'elle se fît remarquer par de rares mérites pour qu'elle ait été renouvelée plusieurs fois dans le cours des siècles, et qu'à travers ces renouvellements elle soit parvenue jusqu'à nous, presque seule parmi les innom- brables chansons du même genre que vit éclore l'époque de la féodalité naissante -.

Cette épopée féodale, dont Raoul de Cambrai nous a con- servé un reflet, est, dans le domaine poétique, la production la plus originale de l'ancienne France. Elle doit, il est vrai, sa forme extérieure et son style (assonance, vers décasyllabique, laisse) à l'épopée royale ou nationale de l'époque précédente, qui elle-même remonte pour la forme à la poésie latine vulgaire, pour l'inspiration sans doute à l'épopée germanique. Mais l'épopée féodale est bien elle-même. Elle s'est dégagée sponta-

��1 . Le souvenir de cette hostilité de Louis IV s'est maintenu dans la chro- nique de Waulsort, où Louis donne à Raoul la terre des fils d'Herbert, « reciproca crudelitate a genitore puerorum et patruis se vinculatum reminis- cens ». Seulement, c'est Louis lui-même, et non son père, qui aurait été mis en prison par Herbert, ce qui indique que le chroniqueur a puisé cette notice dans la chanson qu'il résumait et non dans ses connaissances historiques. Altéré dans le poème du xi^ siècle, ce trait a disparu de celui du xii^.

2. On peut rattacher encore à l'épopée féodale Girard de Roiissillon, Gor- mond et Isembart, des morceaux isolés dans divers cycles, comme ceux de Renaud de Montauban et de Guillaume d'Orange, et les poèmes postérieurs, imités de cette épopée, d'Auberi le Bourguignon et des Lorrains. Sur Julien de Saint-Gilles, voyez ci-dessus.

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