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RAOUL DE CAMBRAI 159

Les deux armées sont en présence ; le combat s'engage, long, sanglant et confus. Il était resté célèbre dans la tradition. On ne comparait le carnage qui s'y fit qu'à ceux de Roncevaux et de Valbeton ', et les gens instruits^ au xii^ siècle, expliquaient par l'affaiblissement où la perte de tant de guerriers laissa la France la facilité qu'eurent les Normands à s'y établir ^. Le poème tel que nous l'avons ne présente pas la bataille sous des traits aussi grandioses ; il se borne, comme il est d'usage dans les chansons de geste, à indiquer en gros une mêlée meurtrière et à raconter par le menu des combats singuliers. Raoul y fait des prodiges. Dans son ardeur, il oublie la promesse donnée à son oncle Guerri de ne pas s'éloigner de lui. Il rencontre un parent des fils d'Herbert, Ernaud de Douai, qui croyait avoir à venger sur lui la mort de ses deux fils, tués jadis à Paris à une « quintaine » K Ils se combattent, et Raoul abat le poing d'Ernaud. Celui-ci prend la fuite, poursuivi par son ennemi, auquel il demande en vain de l'épargner. « Je deviendrai ton homme, lui dit-il, pour tous mes fiefs. » Mais Raoul jure qu'il le tuera. Rocoul de Soissons veut le défendre; il a le pied coupé. « Te voilà boiteux, lui crie Raoul, et Ernaud manchot. Je vous prendrai à mon service : l'un me servira de portier, l'autre de guetteur. » Puis la fuite et la poursuite reprennent. Ernaud, se voyant près d'être atteint, s'arrête : « Pitié, Raoul ! Je suis jeune encore, je ne veux pas mourir. Laisse-moi vivre, je me ferai moine ; je t'abandonnerai tout ce que je possède. — Il faut mourir, répond l'impitoyable Raoul. Cette épée te tran- chera la tête : ni Dieu, ni homme, ni terre, ni herbe, ne peuvent

��1. C'est la grande bataille de Girard de Roussillon.

2. Voir les curieux passages de Gautier Map et de Giraud de Barri cités par les éditeurs. Il me paraît probable que tous deux ont la même source, un dire du grand juge d'Angleterre Ranoul de Glenville. Giraud le dit expres- sément, et nous savons que Map était lié avec cet illustre personnage {De nu^is Curiah'iini, p. 8, 241).

3. Le récit de cet incident, au début du poème, et les allusions qui y sont faites ici sont également obscurs. Une aventure assez analogue et aussi peu clairement racontée se trouve dans la chanson de Girard de Roussillon (trad. Meyer, § 200-211).

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