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156 l'épopée

première enceinte palissadée, et, voyant les habitants se défendre derrière les murs, fait mettre le feu au bourg. Le bourg est bientôt en flammes, le couvent aussi; les cent nonnes réfugiées dans l'église y sont toutes brûlées. Pour comble d'horreur, c'est le vendredi saint que cela se passe. Raoul revient à sa tente, et dit à son sénéchal : « Sers-nous à manger des paons rôtis, des cygnes au poivre et de la venaison, et que tous en aient à cœur joie ! » Le sénéchal se signe : « Avez-vous renié la chré- tienté ? On doit jeûner en ce jour solennel, et nous qui venons de faire tant de mal, de violer une église, de brûler des nonnes, vous voulez nous faire encore offenser Dieu ? — Bah ! dit Raoul, pourquoi ces bourgeois m'ont-ils courroucé ? Ils m'ont tué deux hommes ; c'est justice qu'ils l'aient payé cher. Mais il est vrai que j'avais oubUé le carême. » Et, renonçant à man- ger, il demande des échecs, et se met à jouer, le cœur encore tout gonflé de colère. Il est impossible d'imaginer des scènes plus caractéristiques et qui nous reportent mieux aux temps effroyables de la féodalité naissante. On voit que le seul frein qui puisse être apporté aux férocités et aux convoitises est le frein de la religion, et l'on voit aussi combien ce frein est peu puissant. Le pouvoir de la religion, encore est-il méconnu sans cesse, semble se limiter aux commandements de l'Église et laisser hors de son domaine les commandements de Dieu.

Mais l'incendie d'Origni devait avoir de terribles consé- quences pour Raoul. Son ami le plus cher, qu'il avait fait élever avec lui, mené à la cour de France et armé chevalier, était le jeune Dernier, fils naturel d'Ybert de Ribemont, l'un des fils d'Herbert '. Depuis que Raoul avait prétendu sur l'héri- tage de son père et de ses oncles, Bernier se trouvait placé dans une pénible situation morale, entre ses liens de fitmille et son devoir envers son seigneur : ce dernier avait pourtant été le plus fort. Mais à Origni une cruelle épreuve l'attendait. Marsent, l'abbesse, n'était autre que la mère de Bernier, enle-

��I. Une allusion postérieure (v. 1875) semble indiquer que Bernier était venu trouver Raoul après s'être querellé avec son père et ses oncles ; mais on ne dit rien de pareil en racontant son histoire, assez obscurément d'ailleurs.

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