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146 l'épopée

Mais il y a dans notre chanson, avons-nous dit, un trait tout particulier : c'est le choix fait d'un jongleur pour accomplir cet acte d'incomparable dévouement. « Daiirel et Béton, dit excel- lemment M. P. Meyer, est proprement la glorification du jon- gleur. Dès la première fois que Daurel se présente à Beuve, il reçoit en don un palefroi, et peu après c'est un château situé sur la mer et pourvu d'un port qui lui est donné. Mais Beuve sera amplement récompensé de sa libéralité ; s'il est le modèle des seigneurs, Daurel se montre le plus accompli des vassaux ; son dévouement est sans bornes, puisqu'il sacrifie son propre fils pour sauver le fils de son maître, et les ressources de son esprit sont illimitées. Il se consacre tout entier à son jeune seigneur, il dirige son éducation, et lorsque le moment est arrivé de tirer vengeance du traître et de lui reprendre l'héri- tage qu'il a usurpé, c'est encore Daurel qui prépare tout et qui, par l'habileté de ses combinaisons, assure le succès final. Et cependant l'auteur n'est pas un novateur, un révolutionnaire, comme nous dirions maintenant : il ne s'écarte pas des idées de son temps ; il reste persuadé que la noblesse des sentiments est indissolublement liée à la noblesse de la naissance '.... Chacun

��singulier. L'auteur connaissait cette dernière, car il lui emprunte le nom du père de Béton, et il l'imite dans la conduite générale du récit ; mais d'autre part il la contredit gravement, non seulement en plaçant « Antona » dans le midi de la France et non sur la Meuse (voyez P. Meyer, p. xxix) ou en Angle- terre, mais eu faisant épouser à Bovon la sœur de Charlemagne au lieu de Josiane, la fille du roi Ermin, et en faisant mourir Bovon tout autrement, en sorte que son Bovo d'Antona n'a en réalité que le nom de commun avec le héros des poèmes français. Il est probable que l'auteur de Daurel avait entendu raconter assez en gros l'histoire de Bovon, qu'il a suivie en la com- plétant à l'aide d'autres réminiscences, et peut-être a-t-il cru lui-même que les aventures qu'il redisait étaient arrivées non à Bovon, mais à son fils. Le nom assez étrange d'En'iiienaf la fille de Vamirat de Babylone, qu'épouse Béton, semble provenir de celui du roi Ermin, père de Josiane. Mais on ne peut dire, avec M. Nyrop, que Daurel et Betoii soit une « continuation » de Bovon, puisque l'auteur ignore les faits les plus essentiels de l'histoire de ce dernier.

I . Ou plutôt une certaine catégorie, de sentiments et de manières qui cons- tituent proprement la courtoisie, car on ne peut contester à Daurel, si coura- geux et si dévoué, la noblesse des sentiments.

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