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On pourrait signaler et on a signalé plus d’une ressemblance entre les manifestations de l’esprit français, — de l’esprit gaulois, comme on dit pour marquer l’antiquité d’une de ses tendances les plus enracinées, — d’autrefois et d’aujourd’hui : n’est-ce pas de la même inspiration que sont sortis Faux-Semblant et Tartuffe, Patelin et Figaro, les Quinze joies de mariage et la Physiologie du mariage ? et plus d’un de nos vieux contes, en vers ou en prose, ne fait-il pas penser à La Fontaine et à Maupassant ?… Je ne veux m’attacher ici qu’à un trait beaucoup plus général, que M. Brunetière a déjà indiqué avec une remarquable pénétration dans sa belle étude sur le Caractère essentiel de la littérature française, mais qui mérite d’être suivi de plus près et marqué plus profondément qu’il ne pouvait l’être dans un tableau d’ensemble où il n’est qu’accessoire.

Notre littérature, — la critique étrangère et la critique française se sont accordées à le proclamer, — est avant tout une littérature sociale et même une littérature de société. Elle compte peu d’œuvres dans lesquelles l’auteur ait exprimé son âme, son rêve de la vie, sa conception du monde, pour le plaisir ou le besoin intime de se les représenter à lui-même sous une forme qui réponde à son idéal inné de beauté. Nos écrivains s’adressent toujours à un public, l’ont constamment devant les yeux, cherchent à deviner ses goûts, à conquérir son assentiment, et s’efforcent de lui rendre aussi facile que possible l’intelligence de l’œuvre destinée à lui plaire. Ils expriment donc surtout des idées accessibles à tous, soit qu’ils adoptent et démontrent celles qui sont couramment reçues, soit qu’ils les heurtent exprès pour faire impression sur les lecteurs et accréditer celles qu’ils veulent y substituer. Or ce caractère éclate dès les plus anciens temps de notre littérature. Nos chansons de geste sont composées pour la classe aristocratique et guerrière, en expriment les sentiments, en flattent les passions, en personnifient l’idéal. On chercherait en vain dans toute l’Europe médiévale une œuvre qui incarne comme la Chanson de Roland les façons de sentir, sinon de la nation tout entière, au moins de la partie active et dominante de la nation dans ce qu’elles eurent de plus impersonnel et de plus élevé. De là cette faiblesse de la caractéristique qu’on a relevée dans