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EUE DE SAINT-GILLES 135

française, c'est le fils qui engendre le père, en ce sens qu'on a profité de la célébrité du fils pour faire une histoire k son père, parfois même à son aïeul ; mais l'inverse est souvent vrai aussi, et nous en avons ici bien probablement un exemple. Par ses racines, le poème tout romanesque d'Elie plonge dans un milieu foncièrement historique, et je ne doute pas que la gloire épique de Julien de Saint-Gilles n'ait quelque fonde- ment réel dans l'histoire de cette grande lutte entre Francs et Arabes, dont la geste de Narbonne, à travers mille altérations, nous a conservé le souvenir.

Mais le poème ÔlÉUc, en lui-même, est un pur roman d'aventure. Comme tel, il ne manque pas d'agrément, même dans la forme où il nous est parvenu. Le début a un caractère vraiment épique. Le vieux Julien a déclaré à son fils qu'il le déshéritera comme indigne s'il ne montre pas sa force et son adresse au jeu guerrier de la quintaine. Le jeune homme s'y comporte si bien que, non seulement il frappe en plein milieu le poteau qui sert de but aux coups de lance, mais qu'il le ren- verse avec les écus et les hauberts dont il est chargé. Julien, plein de joie, veut embrasser son fils et lui donner toute sa terre ; mais Elle, encore tout bouillant de roff"ense qu'il a reçue, déclare qu'il s'en va pour ne pas revenir. Le vieillard le maudit tout haut et le bénit secrètement :

« Or va, que ja ne truisses ne terre ne pais Ou tu • puisses conquerre vaillant un paresis ! Ja ne truisses tu home qui ja te soit amis ! Certes ne feras tu, car li cuers le me dit. » Li danseaus en avale les degrés marberins, Et li viens le regarde, si li jeté un souspir : En son cuer le commande a Dieu qui ne menti.

Il y a dans ce mélange de tendresse et de brutalité quelque chose d'héroïque, qui rappelle les premières romances espa- gnoles du Cid et le début de cette épopée moderne où Gogol nous a peint les rudes moeurs des vieux Cosaques.

La scène où Élie, échappé des mains des Sarrasins, rencontre

��I. Correction de M. Fôrster.

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