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inspiration et de ses procédés : il avait produit un chef-d’œuvre, Patelin, que la nouvelle école fut longtemps bien loin d’égaler avec ses faibles imitations de la comédie antique, italienne ou espagnole ; mais, abandonné en général à la verve éphémère des improvisateurs et des sociétés joyeuses, il ne comptait pas dans la littérature. Tout le reste se présentait sous l’aspect lamentable d’oripeaux à la fois fastueux et pauvres, de fanfreluches prétentieuses, de vieux galons dédorés et « gothiques » : la jeune poésie qui s’avançait, fière de sa science et de son art, les yeux fixés sur l’idéal hellénique, le cœur rempli de hautes aspirations et la tête garnie de réminiscences qu’elle prenait pour des idées, n’eut qu’à pousser du pied cette défroque pour qu’elle disparût de la scène, où elle n’avait jamais habillé que les acteurs d’un long intermède. Par derrière, loin par derrière, le vrai moyen âge, enfoui dans des manuscrits qu’on avait cessé de lire et dans une langue qu’on ne comprenait plus, était aussi profondément inconnu que s’il n’avait jamais existé, et les érudits qui commencèrent alors à l’explorer ne virent dans leurs trouvailles qu’un objet de curiosité archéologique.

Ainsi s’explique le divorce complet opéré entre le passé et l’avenir littéraire de la France au milieu du xvie siècle, et c’est pour cela que la connaissance de la littérature du moyen âge ne semble guère importer à celle de la littérature moderne. Mais il n’en va pas de même si au-dessous de la littérature on cherche le génie qui l’a inspirée et qu’elle exprime. Si ce génie a sommeillé en France, — grâce surtout à l’atroce guerre de Cent ans, — pendant deux siècles et demi, s’il s’est donné, en se réveillant, une forme tout autre que celle qu’il avait eue jadis, il n’en est pas moins resté essentiellement le même dans ses traits fondamentaux, et l’intelligence de notre littérature moderne gagne beaucoup à ce qu’on la rapproche de notre ancienne littérature, — avec laquelle elle a si peu de rapports, — parce qu’il est intéressant de saisir, dans cette différence même, des ressemblances qui surprennent et qui charment, comme ces constatations qu’on fait parfois, sur sa propre personne, d’un atavisme dont on n’avait pas conscience et qui semble ouvrir un jour soudain sur les sources les plus profondes et les plus mystérieuses de la vie.