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âge est dans le fait que la première était séparée de la seconde par un intervalle plus grand q’il ne semble, ou plutôt que la seconde, à vrai dire, depuis longtemps n’existait plus. Ce qui l’avait remplacée était une littérature bâtarde, sorte de Renaissance avortée, mêlant les restes de la puérilité subtile du moyen âge à une gauche imitation de l’antiquité latine, dénuée de sujets et vide de pensées, incertaine de forme, incapable de grandeur et d’énergie, et tout aussi incapable de vraie beauté. Il ne lui manquait pas une certaine grâce, transmise à Marot par les poètes galants du xve siècle, et affinée par lui en une élégance souvent exquise ; mais il lui manquait la puissance de l’idée, la vérité du sentiment ou de l’observation, et le secret de la forme concentrée et pleinement consciente de son rapport avec la matière. L’épopée était morte depuis le xive siècle et ne survivait que dans les rédactions en prose, où l’on ne voyait plus que des contes prolixes et surannés. La poésie allégorique elle-même avait à peu près cessé le fastidieux radotage dont, pendant deux siècles, à la suite du Roman de la Rose, elle avait enveloppé la pauvreté dé sa psychologie, de sa morale et de ses satires. L’éloquence, en prose ou en vers, se guindait, pour grandir sa chétive stature, sur des échasses naïvement apparentes, et s’enflait la bouche, pour se donner un air solennel, avec des périodes ronflantes et de longs mots « despumés à la verbocination latiale ». L’histoire, il est vrai, avec Froissart, Chastellain et Commines, avait produit des œuvres vivantes et souvent puissantes, qui étaient imprimées en partie et qu’on lisait toujours, et le roman moderne était apparu au xve siècle, ainsi que le conte en prose, sous la plume d’Antoine de la Sale ; mais ces écrits en prose semblaient étrangers à l’art proprement dit, et ne pouvaient fournir de base à une tradition vraiment littéraire. La poésie lyrique était réduite aux monotones ballades, aux rondeaux étriqués, aux lourds chants royaux ; elle était toute de facture et, ne sortant pas du cœur, ne parlait pas au cœur. Le germe du drame religieux, capable d’une telle fécondité, et qui avait produit aux xiie et xiiie siècles des jets si originaux, avait été noyé dans la prolixité, la vulgarité et la platitude des interminables mystères. Le théâtre comique avait seul de la vitalité et devait en fait prolonger jusqu’à Molière et plus loin encore quelque chose de son