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102 LITTERATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

André termine ici sa charte : il l'envoie droit à Paris. Que celui qui la lira ne s'assoie pas, car les Français en seront tout crêtes. Si on la récite sur Petit-Pont ', celui qui la lira, s'il ne prend bien garde à lui, ou s'il ne fait un saut dans la Seine, pourra bien avoir la tête cassée.

Ces vers montrent que maître André avait étudié à Paris, et connaissait les Français comme le Petit-Pont, de visu. Ce n'est pas une raison pour qu'il les jugeât équitablement ; mais il avait certainement raison de croire que sa satire les bles- serait à vif. Il dut avoir quelques craintes pour lui-même quand eut lieu l'annexion de la Normandie ; mais il ne paraît pas avoir été inquiété, et nous le voyons dans son âge mûr, ayant renoncé aux « sonnets et danses » qu'il avait aimés, traduire paisiblement pour sa cousine YEvangik de Nico- dèiiw ^

Ses sentiments pour la France avaient changé, espérons-le, comme ceux de la province tout entière. On sait avec quelle rapidité la Normandie devint française. Le mépris universel dont était frappé Jean sans Terre, la renommée de roi sage et de bon justicier que s'était acquise Philippe, ne furent sans doute pas étrangers à ce revirement. Ce qui le facilita aussi, c'est que beaucoup de seigneurs normands, possessionnés en Angleterre, optèrent, lors de la grande répartition qui suivit la « reconquête », pour leurs fiefs insulaires, en sorte que ceux-là seuls restèrent en Normandie qui y avaient de pro- fondes racines. Mais surtout, il faut le proclamer, l'union de l'Angleterre et de la Normandie était contre nature ; celle de la Normandie et de la France était toute naturelle et n'avait été rompue que par des circonstances extérieures. Les Nor- mands avaient eu beau nourrir longtemps contre les Français des sentiments de défiance et d'hostilité, au fond ils étaient Français, non seulement par la langue, mais par les mœurs, par les idées, par la façon de sentir et de penser. Ils le devinrent bientôt par le cœur, et quand, peu d'années après l'annexion, les Anglais voulurent faire une descente en Normandie, comp- tant sur la complicité des habitants, ils trouvèrent une popu-

��1 . Le Petit-PoQt était alors le rendez-vous habituel des écoliers .

2. Vov. ci-dessus, p. 90.

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