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98 LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

après le fameux siège de Rouen, entrepris par Louis VII et que Henri II le força à lever. Sous l'impression de ce fait d'armes, voici ce qu'écrit le poète normand :

On ne doit pas cacher les perfidies de la France : toujours les Français ont voulu déshériter les Normands, toujours ils les ont tourmentés et ont essavé de les vaincre. Ne pouvant les surmonter par la force, ils ont tenté d'en venir à bout par des tricheries de tout genre. Ils sont bien dégénérés de ceux dont on a fait jadis les chansons ; ils sont faux et perfides, nul ne s'y doit fier. Ils sont tellement convoiteux d'avoir qu'on ne peut les rassasier; ils sont a\ares de leurs dons e chiches dans leurs repas. Voyez les histoires et les livres : jamais les Français n'ont porté foi aux Normands ; ils n'ont été liés ni par les engagements les plus solennels, ni par les serments faits sur les saints. Et toutefois les Normands savent bien les réprimer, non pas par des trahisons, mais par les grands coups qu'ils donnent. Si les Français pou- vaient réaliser toute leur pensée, le roi d'Angleterre n'aurait rien de ce côté de la mer : ils le feraient honteusement, s'ils pouvaient, repasser de l'autre côté. Ils avaient cru Ig gaber au siège de Rouen ; ils pensaient s'emparer de lui, ou entrer par force dans la ville. . . Mais quand Henri approcha, ils n'o- sèrent pas l'attendre. . . Que le roi Henri se méfie, qu'il ne laisse pas les Français venir prés de lui, qu'il les tienne à distance et communique avec eux par messages. Ils cherchent à l'enjôler : Dieu fasse qu'il s'en garde bien ! Ils sont dévorés contre lui d'envie et de haine, et voudraient bien lui chan- ger le blanc en noir. Mais Henri est si sage, si vaillant et si puissant, il a tant de terres et tant de villes, il a tant d'hommes à son commandement, qu'il peut faire trembler Louis et les siens '.

Il faut reconnaître que le chanoine de Bayeux voyait clair au moins sur un point : les Français n'avaient qu'un désir, reje- ter le roi d'Angleterre outre-mer... Les Français d'aujourd'hui ne peuvent en vouloir à leurs aïeux du \n^ siècle, et les Nor- mands font maintenant chorus avec eux.

Un reproche que Wace fait aux Français de son temps, c'est d'être « avares de leurs dons et chiches dans leurs repas ». C'était le grand grief des Normands, apparemment plus magnifiques et plus dépensiers. Il est complaisamment développé dans la satire d'André de Coutances appelée le Roman des Français -.

��1. Éd. Andresen, t. I, p. 209-210.

2. Roman ne signifie pas ici autre chose que « poème en langue vulgaire ».

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