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D’où vient donc qu’il en a été autrement chez nous, et qu’une littérature à la fois antique et nouvelle y est brusquement apparue, sans liens avec celle qui avait fleuri sur notre sol pendant six siècles ? pourquoi la littérature de la Renaissance ne s’est-elle pas, en France comme en Italie, soudée à la littérature du moyen âge, la transformant et non la supprimant ? pourquoi, comme en Angleterre et en Espagne, la vieille poésie nationale ne s’est-elle pas épanouie à la chaleur fécondante de l’antique idéal, au lieu de se dessécher et de disparaître devant les rayons de l’astre remonté au ciel ? C’est ce que peuvent expliquer diverses causes. La première est que la Renaissance n’a pas été chez nous spontanée. Elle nous est venue d’ailleurs, d’Italie, et elle s’est présentée dès l’abord comme une guerre déclarée à ce qui existait dans le pays : au lieu de sortir de la vieille souche par une propre et lente évolution, la plante nouvelle, importée du dehors, n’a pris possession du sol que par l’extirpation de ce qui y avait poussé avant elle. Une autre raison fut l’aspect sous lequel la beauté antique se révéla aux esprits français. La Renaissance italienne avait, à l’origine, été purement latine : les grands trécentistes ne savaient pas un mot de grec ; ils n’entrevoyaient Homère qu’à travers Virgile, Pindare qu’à travers Horace, Platon et Démosthène qu’à travers Cicéron, Athènes qu’à travers Rome. Mais quand la Renaissance pénétra en France, elle était devenue grecque autant que latine, et c’étaient Homère, Pindare, Sophocle, Démosthène et Platon que les créateurs de la nouvelle éloquence et de la nouvelle poésie contemplaient directement, « d’un regard de joie et de respect », comme leurs dieux et leurs modèles. Or l’antiquité latine n’avait jamais cessé d’être connue au moyen âge, et même d’être admirée : l’innovation des maîtres italiens, innovation d’abord insensible et dont ils n’eurent eux-même que vaguement conscience, avait consisté à la comprendre mieux et à saisir plus profondément ce qui en faisait à la fois le trait distinctif et la fécondité : l’observation directe de la nature et de la vie, et la beauté de la forme, le style ; il n’y avait entre eux et leurs prédécesseurs qu’une différence de degré dans la pénétration et l’assimilation d’un monde qui n’avait jamais disparu de l’horizon intellectuel. La Grèce, au contraire, apportait une révélation toute nouvelle : le moyen