Page:Médicis - Lettres, tome 02, 1563-1566, 1885.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’en oy parler où je suis. Je ne veux pas oublier à vous dire une chose que faisoit le Roy vostre grand-père, qui lui conservoit toutes ses provinces à sa dévotion, c’estoit qu’il avoit le nom de tous ceulx qui estoient de maison dans les provinces, et autres qui avoient autorité parmy les nobles, et du clergé, des villes et du peuple ; et, pour les contenter et qu’ils tinsent la main à ce que tout fust à sa dévotion, et pour estre adverty de tout ce qui se remuoit dedans lesdictes provinces, soit en général ou en particulier, parmy les maisons privées ou villes, ou parmy le clergé, il mectoit peine d’en contenter parmy toutes les provinces une douzaine, ou plus ou moings, de ceulx qui ont plus de moien dans le pays, ainsi que j’ai dict cy-dessus : aulx ungs, il donnoit des compagnies de gens d’armes ; aux autres, quand il vacquoit quelque bénéfice dans le mesme pays, il leur en donnoit, comme aussi des cappitaineries des places de la province, et des offices de judicature, à chacun selon sa qualité ; car il en vouloit de chaque sorte qui lui fussent obligez pour sçavoir comme toutes choses y passoient. Cela les contentoit de telle façon qu’il ne s’y remuoit rien, fust au clergé ou au reste de la province, tant de la noblesse que des villes et du peuple, qu’il ne le sceust ; et, en estant adverty, il y remédioit, selon que son service le portoit, et de si bonne heure qu’il empeschoit qu’il n’advint jamais rien contre son autorité ny obéissance qu’on lui debvoit porter ; et pense que c’est le meilleure remède dont vous pourrez user pour vous faire aisément et promptement bien obéir, et oster et rompre toutes autres ligues, accoinctances et menées, et remectre toutes choses soubz votre seulle puissance. J’ay oublié ung autre poinct, qui est bien nécessaire que mectiez peine, et cela se fera aisément, si le trouvez bon, c’est qu’en toutes les principalles villes de vostre royaume vous y gagniez trois ou quatre des principaulx bourgeois, et qui ont le plus de pouvoir en la ville, et autant des principaulx marchans qui aient bon crédit parmy leurs contitoiens, et que, soubz main, sans que le reste s’en aperçoive ny puisse dire que vous rompiez leurs privillèges, les favorisant tellement par bienfaits ou autres moiens, que les aiez si bien gaignez qu’il ne se fasse ni die rien au corps de ville, ny par les maisons particulières que n’en soiez adverty ; et que, quand ilz viendront à faire leurs eslections pour leurs magistratz particuliers selon leurs privillèges, que ceulx-ci, par leurs amis et praticques, facent tousjours faire ceulx qui seront à vous du tout : qui sera cause que jamais ville n’aura autre volonté que la vostre et n’aurez poinct de peine à vous y faire obéir ; car, en ung mot, vous le serez toujours en ce faisant.

(De sa main.) Monsieur mon filz, vous en prendrez la francise, de quoy je le vous envoye, et le bon chemin, et ne trouverez mauvais que l’aye faict escrire à Montagne[1] : car c’est afin que le puissiez mieulx lire ; c’est comment voz prédécesseurs faisoient.

  1. M. Grun n’a pas eu de peine à prouver que ce n’est point Michel Montaigne, l’illustre auteur des Essais, auquel Catherine a dicté ces conseils à son fils ; il s’agit ici en effet, non de Michel, mais de François Montaigne qui était secrétaire de Catherine, et qui est qualifié en divers titres datés de 1572 de secrétaire ordinaire de la chambre du Roi et de la Reine mère. M. Lucas Montigny possédait dans sa collection une lettre de 1574 où sa signature est au-dessous de celle de Catherine de Médicis et un acte notarié postérieur de six ans. Enfin dans un epièce signée de sa propre main, Catherine le désigne sous ce titre : François Montaigne nostre secretaire, et dans une annotation autographe, elle recommande que Montagne signe l’acte en question (Docteur Payen, Recherches sur Montaigne, no 4, Paris, Techener, 1856.)