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venir chez moy ou chez la Royne[1], affin que l’on congnoisse une façon de court, qui est chose qui plaist infiniment aux François, pour l’avoir accoustumé ; et ayant demeuré demie heure ou une heure en public, vous retirer ou à vostre estude, ou en privé, où bon vous semblera ; et sur les trois heures après midy, vous alliez vous promener à pied ou à cheval, affin de vous monstrer et contenter la noblesse, et passer vostre temps avec ceste dernière à quelque exercice honneste, sinon tous les jours, au moins deux ou trois fois la sepmaine ; cela les contentera tous beaucoup, l’ayant ainsi accoustumé du temps du Roy vostre père, qu’ilz aimoient infiniment ; et après cela soupper avec vostre famille ; et l’après soupper, deux fois la sepmaine, tenir la salle du bal, car j’ay ouy dire au Roy vostre grand-père qu’il falloit deux choses pour vivre en repos avec les François et qu’ils aimassent leur Roy : les tenir joyeux, et occuper à quelque exercice ; pour cest effet, souvent il falloit combattre à cheval et à pied, courre la lance ; et le Roy vostre père aussi, avec des autres exercices honnestes èsquels il s’employoit et les faisoit employer ; car les François ont tant accoustumé, s’il n’est guerre, de s’exercer, que qui ne leur fait faire, ils s’emploient à autres choses plus dangereuses. Et pour cest effet, au temps passé, les garnisons de gens d’armes étoient par les provinces, où toute la noblesse d’allentour s’exerçoit à courre la bague, ou tout autre exercice honneste ; et outre que ils servoient pour la seureté du pays, ils contenoient leurs esprits de pis faire.

Or, pour retourner à la police de la court, du temps du Roy vostre grand-père, il n’y eust eu homme si hardy, d’oser dire dans sa court injure à ung autre, car s’il eut esté ouy, il eut été mené au prévost de l’Hostel. Les cappitaines des gardes se promenoient ordinairement par les salles et dans la court ; quand l’après-disné le Roy estoit retiré en sa chambre, chez la Reyne, ou chez les dames, les archers se tenoient ordinairement aux salles parmy les degrez, et dans la court, pour empescher que les pages et lacquais ne jouassent et tinssent les brelans qu’ils tiennent ordinairement dans le chasteau où vous estes logé, avec blasfèmes et jurements, chose exécrable ; et devez renouveller les anciennes ordonnances, et les vostres mesmes, en faisant faire punition bien exemplaire, afin que chacun s’en abstienne. Aussi les Suisses se promenoient ordinairement à la court et le prévost de l’Hostel, avec ses archiers, dans la basse-court, et parmy les cabaretz et lieux publicqs pour veoir ce que il se fait et empescher les choses mauvaises, et pour punir ceulx qui avoient délinqué ; et sa personne et ses archiers, sans hallebarde, entroient dans la court du chasteau, pour veoir s’il y avoit rien à faire, et lui montoit en hault pour se monstrer au Roy, et sçavoir s’il lui veult rien commander : aussi les portiers ne laissoient entrer personne dans la court du chasteau, si ce n’estoient les enfans du Roy, et les frères et sœurs, en coche, à cheval et littière ; les princes et princesses descendoient dessoubz la porte ; les autres, hors la porte. Tous les soirs, depuis que la nuit venoit, le Grand Maître avoit commandé au maistre d’Hostel de faire allumer des flambeaux par toutes les salles et passages, et aux quatre coins de la court et degrez, des fallotz ; et jamais la porte du chasteau n’estoit ouverte que le Roy ne fust éveillé.

  1. Charles IX n’était pas marié à cette époque : il n’avait pas quatorze ans accomplis ; mais déjà Catherine pensait à le marier et déjà le cardinal de Lorraine avait demandé pour lui l’une des filles du roi des Romains. Une lettre à M. de Rennes qui suit (14 septembre) en fait mention.