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RIENZI.

comme les savants nous disent que la tristesse engendre cette affreuse maladie, vous voyez en nous des ennemis jurés de la tristesse. Six cavaliers de notre connaissance ont consenti à se joindre à nous. Nous consacrons nos jours, quel qu’en soit le nombre, à tous les divertissements que nous pouvons trouver ou inventer. La musique et la danse, les contes amusants et les chants joyeux, avec des changements d’horizon, en passant de la pelouse au bosquet, de l’allée à la fontaine, occupent notre temps et nous préparent un paisible sommeil et des rêves heureux. Chaque dame est à son tour reine de notre cour imaginaire, c’est mon tour aujourd’hui. Une seule loi compose tout le code de notre constitution, à savoir, que l’on n’admettra rien de triste. Nous voudrions vivre comme si cette ville n’existait pas et (ajouta la belle souveraine avec un léger soupir), comme si la jeunesse, la grâce et la beauté devaient durer toujours. Un de nos chevaliers nous a follement quittées pour un jour, en promettant de revenir ; nous ne l’avons plus revu, et nous ne voulons pas deviner ce qui lui est arrivé. Il devenait nécessaire de remplir sa place, nous avons tiré au sort à qui lui chercherait un remplaçant ; cette mission est échue aux dames qui sans vous déplaire, j’espère, vous ont amené ici. Beau sire, voilà mon explication terminée.

— Hélas, aimable reine, dit Adrien, luttant de toutes ses forces, mais en vain, contre l’amer désappointement qu’il ressentait, je ne puis être membre de votre heureux cercle ; je suis moi-même une violation vivante de votre loi. Je suis rempli d’une seule pensée, toute d’anxiété et de tristesse, pour laquelle tout plaisir serait une impiété. Je cherche parmi les vivants et les morts un être dont le sort m’est encore inconnu, et il a fallu l’aimable supercherie du guide charmant qui m’amène pour me détourner de ma tâche douloureuse. Permettez-moi, gracieuse dame, de retourner à Florence. »