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RIENZI.

femmes, le vin de monseigneur l’évêque et les femmes de madame l’abbesse ! »

Puis il entonna son chant bachique :

« Chantons, chantez la mort, la grande reine du monde, qui met à bas une armée rien que d’un souffle ; qui ouvre la prison pour dépouiller le palais et sauve nos cols honnêtes de la malice du bourreau. Que les puissants tremblent d’effroi ; les pauvres n’ont jamais vécu qu’après la mort des riches ! à la santé de la mort ! à la santé de la peste ! puisse-t-elle toujours, comme aujourd’hui, libérer le coquin de sa chaîne et la nonne de ses vœux ! pour le geôlier c’est une épée meurtrière, pour le captif c’est une clef libératrice. Vive le fléau de la terre ! c’est une bénédiction pour moi ! »

Avant que cet effrayant couplet fût achevé, Adrien, sentant que, dans de pareilles orgies, il n’avait aucune chance de poursuivre ses investigations, quitta cette salle profanée et courut, hors d’haleine, car il était saisi d’une grande terreur, jusqu’à ce qu’il se retrouvât dans la cour, sous un soleil ardent, dont la chaleur morbide et stagnante composait une atmosphère digne des scènes qu’elle éclairait. Il résolut néanmoins de ne pas abandonner ces lieux sans essayer de faire d’autres recherches ; et tandis qu’il était arrêté dans la cour, rêveur, indécis, il vit tout près de là une petite chapelle dont la longue fenêtre laissait passer une faible lumière de cierges, éclipsée par le grand jour. Il se dirigea vers le porche, et aperçut en entrant à côté du sanctuaire une nonne, seule, agenouillée, en prières. Dans un des bas côtés, sombre et étroit, sur une longue table (à chaque extrémité de laquelle brillaient les grands et lugubres cierges dont les rayons l’avaient attiré), les plis de plusieurs linceuls lui firent voir les contours à peu près distincts de figures humaines qui dormaient du dernier sommeil. Adrien lui-même, ému par la tristesse de ce spectacle et la sainteté du lieu,