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ciel, vouées à l’abstinence et aux mortifications volontaires, il voyait maintenant assemblée au haut de la table (celle qui jadis servait à l’abbesse) une troupe étrange, désordonnée, une horde sauvage, qui au premier abord paraissait composée d’hommes de tous les rangs, car les uns portaient de la serge ou même des haillons, les autres étaient habillés en toute magnificence de satin et de velours, avec plumes et manteau. Mais un second coup d’œil suffisait pour faire voir que ces joyeux compagnons étaient des bandits bien assortis, et que le luxe étalé par les plus élégants n’était que la dépouille arrachée à des palais sans gardes et à des boutiques inhabitées ; car leurs chapeaux à plumes, rehaussés de bijoux, cachaient mal des figures hideuses, des barbes sales et longues, avec les chevelures en désordre, que les membres avoués de la confrérie du poignard et du bras mercenaire venaient d’adopter récemment, et qui souvent leur tenaient lieu de masques. Au milieu de ces farouches débauchés étaient beaucoup de femmes, jeunes ou d’âge mûr, laides et belles, et Adrien frissonna, se signa presque en voyant sur les robes détachées et les seins découverts des prostituées de profession le vêtement consacré et le rosaire à gros grains des religieuses. Des flacons de vin, des monceaux de viandes, des vases d’or et d’argent, dédiés la plupart aux cérémonies du culte, couvraient la table. Le jeune Romain s’arrêta, comme frappé d’un charme, sur le seuil. Alors l’homme qui jouait le rôle de président de l’orgie, un énorme bandit à la peau basanée, ayant sur la figure une profonde cicatrice, qui, traversant dans toute leur étendue la joue gauche et la lèvre supérieure, donnait à ses larges traits, l’aspect le plus hideux, lui cria :

« Entrez, mon homme, entrez ! Pourquoi vous tenir là, ébahi et muet ? Nous sommes de joyeux hôtes et nous donnons la bienvenue à tout le monde. Voici du vin et des