Page:Lytton - Rienzi, le dernier des tribuns de Rome, tome 2, 1865.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
RIENZI.

absolu d’alentour aurait à peine traversé le seuil. À mesure que le voyageur approchait de la ville, la scène devenait moins déserte, mais plus effrayante. Alors apparaissaient des voitures et des litières soigneusement enveloppées de tentures épaisses : elles contenaient ceux qui cherchaient leur salut dans la fuite, oubliant que la peste était partout ! Et pendant que ces sombres véhicules, attelés de chevaux semblables à de maigres et transparents squelettes qui se traînaient péniblement sur la route, passaient comme des corbillards, parfois un cri rompait le silence dans lequel ils marchaient ; et le cheval du voyageur se précipitait de côté, tandis que quelque malheureux attaqué de la contagion était jeté du véhicule par l’inhumanité égoïste de ses compagnons, et abandonné mourant sur la route. Tout près de la porte de la ville, un chariot était arrêté, qu’un homme masqué déchargeait dans une mare verte et fangeuse qui bordait la route. C’étaient des costumes, des robes de tout genre, de toute valeur : le manteau brodé du galant, la coiffe et le voile de la signora avec les haillons du paysan. En regardant travailler l’homme au masque le cavalier aperçut un troupeau de pourceaux, maigres et à demi morts de faim, qui couraient vers la fosse dans l’espoir d’y trouver quelque nourriture, et le voyageur frissonna en pensant à la nourriture qu’ils avaient devinée là ! Mais avant qu’il eût atteint la porte, ceux de ces animaux immondes qui s’étaient le plus empressés à fouiller ce tas infect, retombèrent morts au milieu de leurs pareils[1].

« Ho ! ho ! s’écria l’homme masqué, et sa voix creuse résonnait plus creuse encore à travers sa visière, viens-tu ici chercher la mort, étranger ? Regarde : ton manteau de vert-galant avec ses broderies d’or ne te sauvera pas du

  1. Le même spectacle a été rencontré et décrit par Boccace.