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RIENZI.

« Place ! Place, coquins ! crièrent les gardes, foulant aux pieds de part et d’autre la foule, qui, accoutumée à la discipline calme et courtoise des gardes de Rienzi, ne recula pas assez vite pour que bon nombre de badauds ne tombassent pas sous les coups meurtriers des piques des soldats et des sabots des chevaux. Notre ami Luigi le boucher fut des premiers, et l’ardeur mutine du sang romain qui bouillait déjà dans ses veines n’empêcha pas notre homme de recevoir dans sa vaste poitrine le bout émoussé de la pique d’un Allemand.

— Allons, Romains, dit le rude mercenaire dans son italien barbare, faites place à vos maîtres ; en bonne conscience voilà assez d’attroupements et de parades comme ça.

— Nos maîtres ! hurla le pauvre boucher ; un Romain n’a pas de maîtres, et si je n’avais pas perdu deux frères à San Lorenzo, j’aurais…

— Voilà un mâtin bien hargneux, dit un des suivants d’Orsini en succédant à l’Allemand qui venait de passer, ne parle-t-il pas de San Lorenzo !

— Oh ! dit un autre orsiniste, avançant le poitrail de son cheval, c’est une de mes vieilles connaissances : il était de la bande de Rienzi.

— Vraiment ! reprit le premier avec colère : alors nous ne saurions commencer trop tôt à faire quelque exemple salutaire ; et, piqué de l’air fanfaron et insolent qu’il voyait encore dans la mine du boucher, le cavalier orsiniste lui perça froidement le cœur d’un coup de pique et lui fit passer son cheval sur le corps.

— Honte ! Honte ! Au meurtre ! Au meurtre ! » s’écrièrent les gens du peuple, et ils commençaient à se presser, dans l’ardeur du moment, autour des gardes féroces.

Le légat entendit ces clameurs et vit ce mouvement impétueux ; il pâlit et dit en balbutiant de crainte : « Voilà ces gueux-là qui se révoltent encore.