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RIENZI.

et en effet cette réaction de l’enthousiasme populaire remplacé par l’indifférence populaire, l’Angleterre ne l’a-t-elle pas connue elle-même, quand ses enfants ont follement abandonné les fruits d’une guerre sanglante, sans réserve, sans prévoyance, au licencieux pensionnaire de Louis XIV et au royal meurtrier de Sidney ? Oui le plus noble peuple sera lui-même assujetti à ces défaillances de l’âme, à cet aveuglement de l’esprit, toutes les fois que chez lui la liberté, au lieu de croître d’âge en âge, étendant ses racines à travers les replis de mille coutumes séculaires, ne fera que paraître une heure comme une plante exotique, comme l’arbre Dryade des fables antiques, pour fleurir un moment et se faner après avec l’esprit vivifiant qui l’animait seul.

« Ô ciel, si j’étais un homme ! s’écria Angelo, derrière Rienzi.

— Écoutez-le, écoutez l’adolescent ! cria le tribun ; c’est par la bouche des enfants que parle la sagesse ! Il voudrait bien être un homme comme vous l’êtes, afin de pouvoir faire comme vous devriez faire. Remarquez bien : je m’en vais avec ces quelques fidèles traverser à cheval le quartier des Colonna, passer devant la forteresse où se tient votre ennemi. Trois fois mes trompettes sonneront devant cette forteresse ; si à la troisième fanfare vous n’arrivez point, armés comme il faut, je ne dis pas vous tous, mais seulement trois, seulement deux, seulement une centaine de vous, alors je romprai mon bâton de commandement, et le monde dira que cent cinquante bandits ont étouffé l’âme de Rome et écrasé son magistrat et ses lois ! »

Après avoir prononcé ces mots, il descendit l’escalier et monta sur son coursier ; la populace lui fit place en silence et laissa son tribun, avec sa misérable escorte, passer lentement et peu à peu disparaître aux regards de la foule croissante.