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RIENZI.

d’abattement et de douleur, était si émouvante que la foule, d’abord indignée, partageait maintenant son affliction. Enfin il eut l’air d’avoir pris sa résolution. Il se retourna vers Rienzi et lui dit d’une voix tremblante :

« Tribun, je ne vous blâme et ne vous accuse pas. Si vous avez montré quelque précipitation dans cette affaire, Dieu prendra sang pour sang. Je ne vous déclare pas la guerre ; vous dites vrai, mon serment me le défend, et si vous gouvernez bien, je puis encore me rappeler que je suis Romain. Mais… mais… regardez cette boue sanglante. Plus d’union entre nous ! Votre sœur, Dieu soit avec elle ! entre elle et moi coule un sombre torrent ! Le jeune noble fit une pause d’un instant, étouffé par ses émotions, puis il reprit : Ces papiers terminent ma mission. Enseigne, descendez la bannière de la République. Tribun, ne parlez pas… Je veux rester calme… calme. Ainsi donc, adieu à Rome ! » Jetant vers les cadavres un regard précipité, il sauta à cheval, et, accompagné de sa suite, disparut sous la voûte.

Le tribun n’avait point essayé de le retenir ; il ne l’avait pas même interrompu. Il sentait que le jeune noble avait pensé, agi comme il devait. Il le suivit des yeux.

« Et c’est ainsi, dit-il tristement, que le destin m’arrache mon plus noble ami et mon plus juste conseiller ; jamais Rome n’a perdu un meilleur citoyen ! »

Tel est l’éternel arrêt qui pèse sur les états déchirés par les guerres civiles. Le médiateur entre les classes soulevées, le noble charitable, le patriote impartial, celui qui se met en avant, et se voit saluer par l’enthousiasme, disparaît bientôt tristement de la scène. Il ne reste plus sur le champ de la lutte que des esprits plus farouches et moins délicats, et tout lien d’harmonie, tout intermédiaire est rompu entre haine et haine, jus-