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RIENZI.

écuyers, s’approcha, et, malgré la répugnance et l’aversion d’Adrien, l’entraîna à part :

« Mon jeune ami, lui dit-il tristement, mon cœur saigne pour toi ; mais réfléchis, le courroux de la multitude n’est pas encore apaisé contre eux ; sois prudent.

— Prudent !

— Chut ! Sur mon honneur, ces hommes n’étaient pas dignes de votre nom. Deux fois parjures, une fois assassins, deux fois rebelles ; écoute-moi !

— Tribun, je n’ai pas besoin d’autre explication pour ce que je vois. Ils peuvent avoir été frappés de mort en toute justice ou lâchement égorgés, mais il n’y a plus de paix entre le bourreau de ma race et moi.

— Ne vas-tu pas aussi te parjurer comme eux ! et ton serment ! Viens, viens, je ne veux point de cela. Sois calme, retire-toi, et si d’ici à trois jours tu me reproches autre chose qu’une folle indulgence, je te délie de ton serment, tu seras libre d’être mon ennemi. La foule ébahie nous regarde ; une minute de plus, et il ne sera plus en mon pouvoir de te sauver. »

Les émotions du jeune patricien ne peuvent se décrire. Il n’avait jamais eu grandes relations avec ceux de sa famille, jamais il n’avait reçu de leur part que des politesses ordinaires. Mais la famille est toujours la famille ! Et là, grâce aux funestes hasards de la guerre, gisaient l’arbre et le rejeton, la fleur et l’espoir de sa race. Il sentait qu’il n’y avait rien à répondre au tribun ; la place même où ils avaient succombé prouvait que c’était dans une attaque contre leurs compatriotes. Ce n’était point leur cause qui provoquait sa sympathie, c’était leur sort. Et la colère, la vengeance lui étant également interdites, son cœur n’en était que plus sensible au choc d’une douleur stérile. Il ne parlait donc pas ; il continuait seulement de contempler ces morts, pendant que de grosses larmes descendaient sur ses joues ; et son attitude, pleine