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RIENZI.

bras en prononçant : « Malheur, malheur aux Colonna ! » dit solennellement le jeune homme.

— J’ai vécu près de quatre-vingt-dix-neuf ans, repartit le vieillard, et je puis avoir fait, par conséquent, quelque chose comme quarante mille rêves ; de ces rêves il y en a deux qui se sont réalisés, et le reste n’a été que mensonge. Jugez d’après cela combien de chances il y a en faveur de la science des songes ! »

En causant ainsi, ils approchaient à portée d’arc des portes, qui étaient toujours ouvertes. Tout gardait un silence de mort. L’armée, qui se composait surtout de mercenaires étrangers, faisait halte pour se consulter, lorsque, voyez !… une torche fut tout à coup lancée dans les airs, par-dessus les murailles ; elle étincela un instant, puis retomba en sifflant dans la mare fangeuse.

« C’est le signal convenu avec nos amis du dedans ! s’écria le vieux Colonna, Pietro, avance avec ta compagnie ! » Le jeune gentilhomme baissa sa visière, se mit à la tête de la bande placée sous son commandement, et, la lance en arrêt, s’avança au petit galop jusqu’aux portes. Le matin, le ciel avait été nuageux et couvert, le soleil, n’apparaissant que par intervalles, jeta en ce moment un vif torrent de lumière, dont il inonda les plumes ondoyantes et la brillante cotte de mailles du jeune cavalier, qui disparaissait sous la sombre voûte, à quelques pas en avant de sa compagnie. Celle-ci le suivit tout d’un trait, puis accourut la cavalerie conduite par Gianni Colonna, le père de Pietro. Il y eut alors un silence d’une minute, interrompu seulement par le fracas des armes et le piétinement des chevaux, quand de l’intérieur des murailles s’éleva brusquement ce cri :

« Rome, le tribun et le peuple ! Spirito Santo, cavaliere ! » Le principal corps d’armée s’arrêta pâle et tremblant. Tout à coup on vit Gianni Colonna revenir sur ses pas, s’éloignant au grand galop de la porte.