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RIENZI.

pliqua Adrien en mettant la main sur le Lion de basalte ; rappelle-toi sur combien de cerveaux, pleins aussi de projets, cette sourde image de pierre a abaissé ses regards du haut de son piédestal ; projets bâtis sur le sable et dont les auteurs ne sont plus que poussière ! Contente-toi, pour le moment, d’employer toute ton énergie, non pas à étendre ta puissance, mais à la conserver. Car jamais, tu peux m’en croire, grandeur humaine n’a eu devant elle, à ses pieds un précipice plus affreux et plus sombre !

— J’aime ta franchise, dit le sénateur ; voilà les premières paroles de doute et pourtant de sympathie que j’aie entendues à Rome. Mais le peuple m’aime, les barons ont fui de la ville, le saint-père m’approuve, et le glaive des Allemands garde les avenues du Capitole. Cela n’est rien encore, c’est dans ma propre loyauté que je me confie pour en faire ma lance et mon bouclier. Oh ! jamais continua Rienzi, s’enflammant de son enthousiasme ordinaire, jamais depuis les jours de l’ancienne république, jamais Romain ne rêva une aspiration plus pure et plus belle que celle qui m’anime et me soutient aujourd’hui. La paix restaurée, la loi affermie, les arts, la littérature, l’intelligence éclairant de leur aurore les ténèbres de l’époque ; les patriciens renonçant à la rapine du bandit, pour devenir les protecteurs de l’ordre public ; le peuple, élevé de la condition d’une vile populace au rang d’une classe d’hommes assez braves pour se défendre, assez éclairés pour se conduire eux-mêmes ! Alors ce ne sera pas par la violence des armes, mais par la majesté de son pouvoir moral, que la Mère des nations réclamera l’obéissance de ses enfants. Avec de tels projets, de telles espérances, pourquoi tremblerais-je, pourquoi me laisserais-je abattre ? Non, Adrien Colonna, advienne que pourra, je m’en tiens, sans reculer, sans frémir de crainte, aux chances de ma destinée ! »