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RIENZI.

oublié. Voltigeant autour d’elle, mais en laissant la foule se presser devant lui, il ne s’aperçut pas qu’il avait attiré l’œil du sénateur.

Le fait est qu’un des masques, en passant devant Rienzi, lui avait dit à l’oreille : « Prenez garde, vous avez dans vos masques un Colonna ! le domino d’un invité a caché plus d’une fois le poignard d’un assassin. C’est là-bas que se tient votre ennemi… le voyez-vous ? » Ces mots furent la première révélation, vive et saisissante, des périls où il s’était précipité, que le tribun sénateur eût reçue depuis son retour. Il changea de couleur un moment, et pendant quelques minutes le sourire affable et le salut avenant, avec lesquels il avait jusque-là ravi tous les invités, firent place à un air sombre et distrait.

« Pourquoi cet homme étrange se tient-il ainsi là-bas muet et immobile ? dit-il tout bas à Nina. Il ne parle à personne, il ne s’approche point de nous, c’est un manant, ce ne peut être qu’un manant ! Il faut y prendre garde.

— C’est sans doute quelque barbare, un Allemand ou un Anglais, répondit Nina. Ne laissez pas, mon doux maître, un si léger nuage assombrir votre gaieté.

— Vous avez raison, ma bien-aimée, nous avons ici des amis ; nous sommes bien entourés. Et par les cendres de mon père, je sens qu’il faut que je m’accoutume au danger. Nina, allons faire un tour ; nous pouvons, ce me semble nous mêler maintenant aux masques, et nous masquer nous-mêmes. »

La musique fit entendre des accents animés et joyeux lorsque le sénateur et sa société se mêlèrent à la foule. Mais ses yeux n’en étaient pas moins toujours tournés vers le domino gris d’Adrien, et il s’aperçut que ce domino suivait ses pas. En s’approchant de l’entrée particulière du Capitole, il perdit de vue, pendant quelques instants, l’inconnu qui s’obstinait à le poursuivre de son