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RIENZI.

« Vous vous méprenez sur mon compte, dit-il ; attendez pour jouer le rôle de Brutus que je prenne celui de César. Pour le moment vous n’êtes que mon hôte. Parlons d’autre chose. »

Néanmoins cet entretien, le dernier qu’ils eurent ensemble, jeta entre eux une certaine froideur, durant le peu de temps que les chevaliers passèrent ensemble, et ils prirent congé l’un de l’autre avec des façons cérémonieuses qui répondaient mal à leurs relations amicales de la veille.

Montréal sentit qu’il s’était imprudemment révélé. La prudence n’était pas son fort, lorsqu’il se trouvait à la tête d’une armée et dans le cours de sa fortune prospère ; or, il se croyait en ce moment tellement assuré du succès de ses projets les plus téméraires, qu’il ne s’inquiétait guère de blesser ou d’alarmer quelqu’un en les dévoilant.

Adrien reprit sa route à pas lents, avec son étrange et farouche escorte ; il monta une colline escarpée qui l’éloignait de la plaine, et, lorsqu’il fut sur le plateau il put voir au bas sur le grand chemin toute l’armée en marche ; les bannières ondoyantes, les armures étincelantes au soleil, ligne par ligne, comme une rivière d’acier, toute la plaine enfin hérissée de cet appareil de la guerre, tandis que le pas solennel de ces milliers d’hommes armés était étouffé de temps en temps par le son d’une musique martiale et triomphante. Au milieu de leur marche guerrière, Adrien distingua la belle et imposante figure de Montréal, sur son cheval noir ; il était d’ailleurs facile à reconnaître, même à cette distance, grâce à sa haute stature, non moins qu’à son armure éclatante. Ainsi partit dans l’ivresse de son orgueil, dans le transport de ses espérances, le chef d’une puissante armée, la terreur de l’Italie, le héros du moment… le monarque en espérance.