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RIENZI.

plant ces rues de tentes pittoresques et guerrières, qui se coupaient les unes les autres en avenues larges et droites.

Un des capitaines de la Grande Compagnie, qui chevauchait à ses côtés, sourit avec complaisance.

« Il est, dit-il, dans l’art militaire, peu de maîtres qui égalent Fra Moreale ; avec des sauvages, des maraudeurs ramassés de tous côtés et dans tous les pays, dans les cavernes et dans les marchés, dans les prisons et dans les palais, il fait des troupes soumises à une discipline qui pourrait faire honte même aux armées de l’empire. »

Le chevalier ne fit aucune réplique ; mais, piquant son cheval pour passer sur un de ces ponts raboteux, il se trouva bientôt au milieu du camp. Cependant le côté par lequel il entra ne méritait guère les louanges prodiguées à la discipline de cette armée. Accoutumé à l’exactitude régulière de la discipline anglaise, française, allemande, il n’avait jamais vu de troupes plus indociles, plus désordonnées ; çà et là, on voyait des brigands farouches, à grande barbe, à demi nus, poussant devant eux les bestiaux qu’ils venaient d’enlever dans leurs maraudages. Quelquefois une bande de prostituées se tenait, caquetant, grondant, gesticulant, autour de quelques groupes d’hommes du Nord farouches et velus, qui, sous la pure clarté du soleil de la canicule, étaient déjà plongés dans de profondes libations. Les jurons, les rires, les plaisanteries d’hommes avinés, les furieuses querelles résonnaient de tous côtés ; de temps en temps quelque dispute subite à couteaux tirés était commencée et finie par les fougueux et sauvages bravos de la Calabre et des Apennins, sous les yeux mêmes et presque sur le chemin de la troupe. Saltimbanques, marchands d’orviétan, jongleurs, colporteurs juifs, étalaient, de place en place, leurs lours ou leurs marchandises, comme des gens habitués